samedi 18 mai 2019

Sélection Officielle Cannes 2019 : "Sorry we missed you" de Ken Loach

Ken Loach est sans conteste l’un des plus grands cinéastes du monde. On peut désapprouver ses opinions politiques, la justesse des faits qu’il décrit dans Sorry we missed you  et son regard sur le capitalisme à outrance n’en sont pas moins chargés d’une analyse pertinente concernant les effets destructeurs de tout un système sur les classes modestes. Le constat ici est même plus alarmant encore que dans les précédents films. Prenant pour exemple une famille de Newcastle réduite à l’état d’esclave par l’économie de marché, Loach dans la première partie du film, analyse d’abord les raisons du mal être social : pénibilité du travail, despotisme de l’employeur soumis lui-même au rendement, incitation à s’endetter dans l’espoir d’un meilleur lendemain, pénalisations financières et autres offensives d’un système qui finit par écraser la cellule familiale déjà en état de précarité. La mère accumule les tâches tout en étant limitée par l’absence d’un moyen de transport dont elle ne peut bénéficier, le père croule sous les heures de travail à force des pressions d’un patron soumis aux diktats d’Amazon et leur fils, adolescent en révolte peu doué pour les études, se résout à lutter contre un modèle sociétal qu’il perçoit comme sans avenir. Seule la fillette du couple s’accroche comme éperdue à des restes d’enfance, tentant de rassembler les derniers liens d’une famille au bord de l’implosion.
La force des scènes décrites par Loach et son scénariste Paul Laverty atteint de plein fouet le spectateur le plus aguerri. Si la crise économique des années 1930 aux Etats-Unis avait donné pour film emblématique Les raisins de la colère  de John Ford, ils se pourrait bien que Sorry we missed you incarne à lui seul le ravage occasionné à la fois par le projet néolibéral de l’Union européenne et par celui, non moins dangereux du Brexit dans les milieux ouvriers de l’Angleterre des années 2010.
C’est d’abord l’empathie qui domine les personnages de premier plan chez Ken Loach. Conscients de leurs limites et de leurs excès, la violence n’est jamais une fin en soi. Forts en actions et en initiatives, soudés par des valeurs familiales puissantes, c’est la raison qui prime avant tout. Plutôt que de se livrer au chaos on multiplie les tentatives de rapprochement, de dialogue, de communication et l’injustice démontrée n’en est que plus percutante, prenant véritable valeur de dénonciation. 
C’est pour cela que le film touche, observant au plus près et avec une rare authenticité les agissements des uns et des autres au cœur du tissu social. Qui plus est il nous laisse le libre arbitre. Chacun reconnaîtra dans un final pour le moins bouleversant le choix qui lui est propre de vivre ou de mourir lorsqu’on a tout tenté et que la responsabilité individuelle se présente à nous.


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