dimanche 25 avril 2021

Un chef d'oeuvre : Le dernier métro (1980)

Il y a des films comme celui-ci où durant la projection un frisson vous parcourt l'échine pour finir au bord des larmes. L'amour des acteurs et l'amour tout court y débordent par tous les pores de l'écran. Le scénario est magnifique, on dirait qu'il est adapté d'un grand roman, et la mise en scène dans le décor du théâtre subtilement agencée de chassés croisés entre réalité et fiction, entre côté cour et côté jardin. Ingmar Bergman n'est pas loin. Certains ont accusé le film d'être académique... Quelle grossière erreur ! C'était tout ignorer du sens de l'épure du cinéaste, de sa sobriété et de sa retenue lorsque le sujet l'exige. Qui traite des blessures de l'Occupation et de cette infamie infligée aux Français ne peut que poser un regard sans fioritures. Quand Roman Polanski tourne Le pianiste, il pose un même regard. Le dernier métroest un chef d'œuvre que le temps ne peut altérer, un aboutissement dans l'œuvre de son auteur. Un livre suffirait à peine pour y évoquer le nombre de thèmes abordés. Catherine Deneuve, filmée comme une déesse, y trouve l'un de ses meilleurs rôles et Gérard Depardieu, d'une exemplaire retenue, est grand. Il y eut Jean Renoir, il y eut Jacques Becker et il y eut François Truffaut.



mardi 13 avril 2021

Les films de Pierre Prévert

 Coffret Frères Prévert – 3 DVD (Doriane films) 

Autant l’on connaît l’abondante contribution au cinéma de Jacques Prévert, autant l’œuvre de son frère Pierre demeure méconnue et fut même incomprise en son temps. Si les cinéphiles n’avaient pas manifesté leur enthousiasme pour des chefs d’œuvre tels que L’affaire est dans le sac et Voyage surprise, il est fort à parier que ces films auraient disparu à jamais du patrimoine. À une certaine époque la pellicule cinématographique était recyclée en vernis à ongles lorsque les films n’avaient pas eu le succès escompté. C’est tout le drame de Pierre Prévert qui ne put tourner que trois longs-métrages pour le cinéma, films dont les échecs commerciaux le condamnèrent à ne plus travailler qu’occasionnellement pour la télévision. 

 

Grâce à Doriane Films et au magnifique travail de restauration d’Hiventy, il est désormais possible de redécouvrir les films de Pierre Prévert dont le génial Voyage surprise en version intégrale. Dans ce coffret indispensable figurent également deux courts-métrages et deux longs-métrages de télévision. Terry Gilliam adorerait ces films à l’esprit très Monty Python tant ils sont truffés d’inventivité : personnages hauts en couleurs, situations abracadabrantesques, rythme effréné, tout concourt à un régal pour les yeux. On pense à Mack Sennett et à son burlesque satirique dont nous ne pouvons que regretter l’incursion trop rare dans le cinéma français. Avec Pierre Prévert les scénarios de Jacques renouent avec l’esprit de Paroles et de La pluie et le beau temps dans une liberté de ton que l’on ne retrouvera chez aucun autre cinéaste. Seul Pierre a su traduire en images la truculente inventivité de son frère, déliant le langage cinématographique de ses codes pour y mêler dans un même mouvement rêve, magie, poésie, dessin, métaphore et drôlerie empreinte de gravité.

 

Dans L’affaire est dans le sac (1932) on se gausse des notables aussi bien que de l’homme de la rue et les humains et leurs travers en prennent pour leurs grades. Les acteurs, aussi bien Julien Carette qu’Étienne Decroux font merveille. Il faut voir la séquence des vols à la tire de chapeaux, morceau d’anthologie du cinéma burlesque, tout comme la désopilante scène de l’achat du béret français avec Jacques Brunius. Un classique à revisiter régulièrement.


L’affaire est dans le sac (1932)


Voyage surprise (1947) est une incroyable redécouverte qui nous emmène encore plus loin. On y traverse la France comme sur un manège et le voyage n’en finit pas de nous étonner : quiproquos, fête permanente, courses-poursuites hilarantes s’y enchaînent dans une insolente liberté comme si le film avait été écrit, interprété et mis en scène par des enfants. En prime vous y verrez l’atypique Maurice Baquet, fidèle artiste de la troupe Prévert, l’ineffable Sinoël, Annette Poivre, Piéral dans le rôle d’une comtesse, le lunaire Lucien Raimbourg et la belle Martine Carol dans l’un de ses tous premiers rôles. Un film unique, joyeux, formidable, enchanteur. 


Voyage surprise (1947

Le petit Claus et le grand Claus (1964) d’après un conte d’Andersen avec Maurice Baquet, Roger Blin et Elisabeth Wiener. Astucieusement conçu à partir de dessins et de mat paintings du grand Paul Grimault, on y trouve toute la verve des frères Prévert où le malheur et la méchanceté des humains se transforment ici en une peinture enchanteresse qui n’épargne personne. Produit par l’O.R.T.F, on reste songeur devant les initiatives et la créativité des organismes de télévision de cette époque. 


Le petit Claus et le grand Claus (1964)

 

La maison du passeur (1965) renoue avec l’esprit de Voyage surprise, oscillant sans cesse entre réalité et fiction, imaginaire poétique et jeux d’enfants. Le croustillant Raymond Bussières y campe un ancien combattant survolté qui croit revenir les Allemands quand il voit débarquer chez lui une équipe venue tourner un film sur la guerre de 14. Dans ce film où l’on en tourne un autre, le spectateur finit par se demander si la fiction n’est pas plus vraie que le réel. Une œuvre télévisuelle hors du temps à redécouvrir.


La maison du passeur (1965)

 

Deux très beaux courts-métrages agrémentent le coffret : 


Paris mange son pain (1958), sensible évocation du monde du travail dans le monde disparu des Halles. Chaque figure à chaque coin de rue nous touche parce que le cinéaste sait croquer la vie qui bat comme un dessinateur portraitiste muni d’une caméra. 


Paris la belle (1960) où entre images d’archives tournées par Prévert à la fin des années 20 et images contemporaines, le cinéaste rend hommage à la ville des lumières. Il fait aussi la part belle aux femmes, témoignant des modes et de leurs temps. Un témoignage en forme de symphonie du mouvement qui est aussi une ode à la vie. Le film fut récompensé par un Prix Spécial du Jury Court-métrage au Festival de Cannes en 1959.


 

Coffret LES FRÈRES PRÉVERT


https://dorianefilms.com/description.php?id=1246&i=1

samedi 10 avril 2021

Revoir "Taxi driver " (1976)

Revoir le film assène un nouveau coup de massue parce que l'œuvre est admirable et que le temps passé depuis sa sortie lui donne un nouvel écho. À travers l'histoire d'une dépression, celle que traverse le personnage de Travis Bickle interprété par Robert De Niro, c'est toute une plongée dans le mal-être et les maux d'une société américaine dont le rêve s'est éteint depuis longtemps, a-t-il finalement jamais existé. Bickle est un mort-vivant qui émerge des laissés-pour-compte, en proie à une telle désespérance que c'est un combat entre la vie et la mort que Martin Scorsese nous dépeint. Au fur et à mesure que les pauvres éclats de lumière s'éteignent, il ne reste plus que des pans de ténèbres dans lesquels le film s'enfonce peu à peu. Quelle force faut-il extirper en soi pour échapper à la nuit, quelle motivation trouver pour vivre, comment l'extraire du fond de la mine... La force du film est de la faire apparaître à travers le personnage de Jodie Foster que Bickle parvient à arracher aux ténèbres de la maltraitance. Taxi driver est un film en permanence sur le fil du rasoir. Tantôt l'on bascule vers le point de non retour, tantôt c'est un éclair de survie qui jaillit, irrationnel, où l'on est maintenu en vie par la seule grâce divine. Beaucoup de séquences sont très émouvantes, de par le lien qui unit Iris-Jodie Foster et Travis Bickle, et dans la manière dont le personnage de Betsy-Cybill Shepherd est amené par le scénariste Paul Schrader. On oubliera pas de si tôt les plans de fin de Betsy dans le rétroviseur, images entourées d'un halo à la dimension quasi mystique. L'œuvre prend une nouvelle perspective dans l'époque que nous traversons, où désespérance et instinct de survie se côtoient. C'est d'abord et avant tout un film sur les rapports de classes, les murs qui les séparent ne se sont qu'encore davantage épaissis dans nos sociétés modernes. Le traitement musical fait penser à une partition de jazz éclatée, ce qui renforce le sentiment d'un cri qui n'en finit pas pour ne s'achever que dans les dernières images lors de l'ultime rencontre entre et Cybill et Bickle. Moment unique d'apaisement avant que le générique nous fasse replonger dans une nouvelle et interminable nuit. La partition géniale de Bernard Herrmann, qui fut sa dernière, enveloppe le film entre battements de tambour, cymbales, basses et saxophone et le thème d'une beauté à couper le souffle semble tirer un rideau définitif sur un monde d'avant à jamais disparu.






mercredi 7 avril 2021

Hommage à Bertrand Tavernier : Coup de torchon (1981)

D'abord, on l'a peu dit, Bertrand Tavernier fut l'un des rares cinéastes français contemporains à œuvrer dans des genres très différents : film historique, film policier (Dans la brume électrique), film d'anticipation (La mort en direct), comédie (Quai d'Orsay), film de guerre (Capitaine Conan), drame psychologique (Daddy nostalgie), film social (Ça commence aujourd'hui)... Et si l'on prend le seul genre du film historique, les périodes couvrent le Moyen-âge, (La passion Béatrice), le XVIe siècle (La princesse de Montpensier), le XVIIe siècle (La fille de d'Artagnan), la Régence, (Que la fête commence), le XIXe siècle, (Le juge et l'assassin), la guerre de 14-18, (Capitaine ConanLa vie et rien d'autre), le XXe siècle et ses années 1930 (Coup de torchon), l'Occupation (Laissez-passer), les années 1950 (Autour de minuit) et la guerre d'Algérie (revoir le documentaire La guerre sans nom). De plus, si l'on regarde bien ses films, les traitements cinématographiques sont également extrêmement différents. D'une écriture classique comme celle d'Un dimanche à la campagne, il peut passer à une écriture totalement éclatée comme dans La mort en direct et Coup de torchon, films faits de ruptures de tons et d'une mise en scène heurtée qui tranchent avec le style très retenu de La vie et rien d'autre.


Cette constatation étant faite, l'exploit de Coup de torchon réside dans cette idée géniale d'avoir transposé le Texas du roman de Jim Thompson 1275 âmes dans l'Afrique Occidentale Française des années 1930. Tout ce qui faisait la noirceur, le cynisme, la désespérance et la violence de par l'écriture au vitriol du roman américain, se retrouve en un équivalent aussi monstrueux dans le film français qui n'épargne rien de la période montrée.



Film hénaurme, gonflé, surréaliste, Coup de torchon n'y va jamais par quatre chemins. Il ose tout et réussit même l'exploit de nous faire rire de la bêtise, de la veulerie et de la méchanceté de l'âme humaine. Coup de chapeau aux acteurs d'y avoir été à fond, Philippe Noiret (particulièrement excellent), Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Eddy Mitchell en tête, qu'on n'a jamais vu aussi dingues. Film inclassable, impossible aujourd'hui, c'est en particulier la grande connaissance du cinéma et notamment américain de l'âge d'or qui a permis à Tavernier de réussir son coup et de contourner tous les pièges. Il parvient à faire de son film une œuvre romanesque jamais complaisante et dont la réalisation particulièrement savante prend parfois des accents hustoniens tout en restant profondément française de par les caractères des personnages et ses truculents dialogues. Qu'on aime ou qu'on déteste, Coup de torchon reste unique, intemporel dans le cinéma français, et n'a vieilli en rien.



lundi 5 avril 2021

Hommage à Bertrand Tavernier : Un dimanche à la campagne (1984)

        J'adore les films dont l'action se déroule en une seule journée. Ici on commence un matin en ouvrant les volets et toute l'histoire se tisse jusqu'à ce qu'on se retrouve à la même fenêtre au soir tombant. Film frissonnant, fait de petites choses de la vie, et qui, sans jamais rien expliquer, en dit cent fois plus sur les personnages que des pages entières de dialogues. La caméra les accompagne, saisit leurs expressions, leurs mouvements, les visages, leurs yeux, et tout se comprend comme si le spectateur réécrivait lui-même à sa façon l'histoire de ces vies. Une histoire d'amour et de peinture, de solitudes et de rencontres, de pensées profondes et insondables. On est bouleversé par Sabine Azéma, toute en émotions, et par Louis Ducreux, témoin presque silencieux de tout ce qui se passe sous ses yeux. La scène du bal, les plans au bord de la rivière, les échappées champêtres font penser à Renoir, autant le peintre que le cinéaste, et le final dans le soir qui tombe sur une toile vierge devant laquelle Monsieur Ladmiral imagine ce qu'il va peindre, laisse une porte ouverte sur notre imaginaire. La musique de Gabriel Fauré accompagne l'âme du film dont on a l'impression qu'il a été tourné vers 1900, la lumière, les couleurs et les sons remontant jusqu'à nous. Un dimanche à la campagne est un voyage dans le temps où les parfums et les souvenirs d'autrefois pourtant à jamais disparus continuent de flotter dans l'air.