jeudi 11 mai 2017

Redécouverte : LA PROIE POUR L'OMBRE d'Alexandre Astruc (1961)


Troisième long-métrage après Les mauvaises rencontres (1955) et Une vie (1958) du réalisateur disparu l’année dernière, La proie pour l’ombre est un beau film méconnu. Toute la magie du cinéma français, lorsqu’il sait explorer les sentiments, se déploie ici tout en sous-entendus, en demi-teintes mais aussi avec cette part de violence propre aux explorateurs de l’âme humaine. Nous suivons le parcours d’Anna (remarquablement interprétée par Annie Girardot qui trouve ici l’un se ses rôles les plus bouleversants), une femme parvenue à la maturité souffrant d’un mari autoritaire et indifférent à ses désirs. Elle lui préfère un amant (Christian Marquand) plus à l’écoute en apparence mais qui s’avère vite égoïste et incapable de s’engager vraiment. Portrait d’une femme du début des années 60 où la plupart des femmes sont encore dépendantes de leur mari et où le divorce est encore un tabou ; combat pour sortir du joug patriarcal et exister en tant que femme face à l’autoritarisme, l’incompréhension voire l’humiliation. Anna tient une galerie de peinture moderne ce qui suscite le dénigrement de son mari promoteur immobilier, campé par un Daniel Gélin cynique à souhaits. Les hommes n’ont pas la part belle dans le film. Ils sont les victimes de leurs abus de pouvoir, de leur oisiveté et de leur incapacité à aimer. Anna se désagrège de l’intérieur, brisée dans ses élans pour tenter de construire un itinéraire personnel, pour donner un sens à son existence. « J’aurais tellement voulu ne plus dépendre de personne, dit-elle à son amant. Pas seulement matériellement, tu ne sais pas ce que c’est toi de rendre des comptes et de n’avoir rien à soi… sous prétexte que c’est comme ça depuis toujours, sous prétexte qu’on est une femme. J’aurais tellement voulu être quelque chose, au moins une fois, être moi. »


La force du film réside dans l’approche du personnage d’Anna que la caméra approche avec une extrême délicatesse, l’art d’Astruc étant de saisir ce qui trouble et ce qui oppose de par un astucieux choix de cadrages tout en travellings subtils. C’est aussi la fin d’un monde que le cinéaste nous dépeint, filmant une société qui change (les vieux faubourgs de banlieue qu’on détruit pour faire place aux grands ensembles en construction), monde qui meurt et s’émancipe en même temps. Le film est résumé dans la scène où Anna vient sur un chantier voir son mari et découvre une sculpture en plâtre dans les décombres d’une vieille bâtisse. Il la rabroue une fois de plus en lui signifiant qu’elle gagnerait finalement plus à vendre des antiquités que des peintures modernes. Anna lui répond : « C’est une très bonne idée, comme ça on se complèterait. Je vendrais ce que tu démolis ».

  
Film féminin très proche d’Antonioni La proie pour l’ombre, dans un beau cinémascope noir et blanc, est passionnant d’un bout à l’autre et surprend de par sa modernité et sa force. Tourné en pleine Nouvelle Vague et dressant un constat terrible d’une société en mutation, il est l’un des grands oubliés du cinéma français.

lundi 8 mai 2017

Un Président sous haute tension


Le nouveau Président Emmanuel Macron a au moins ce courage d’être prêt à affronter l’autre. Il a ce mérite de savoir écouter sans tomber dans le béni oui-oui, d’expliquer sans avoir peur de déplaire, de ne pas craindre d’aborder cet autre les yeux dans les yeux. Prêt à aller sur le terrain sans perdre de ses moyens devant l’insulte et le désaccord, il se situe à l’intersection entre les lois cruelles de la mondialisation et l’empathie pour l’être humain ; entre la nécessité de réguler les lois de la finance qui donne privilèges aux plus riches et la nécessité d’apporter des réponses plus justes à un peuple de plus en plus défavorisé ; contre la cupidité des uns qui mène à la fracture et pour la reconnaissance des talents. Son programme, certes contesté, il sait le défendre, l’expliquer, sans défaillir pour autant, et ce avec diplomatie, courtoisie, souplesse, conviction, n’en déplaise. C’est le rôle d’un Président. De s’accorder du désaccord, de comprendre en ne trahissant pas ses propres idées, d’être prêt à analyser n’importe quelle situation dans le but d’en démêler les fils, d’obtenir aussi le respect de ses pairs et de tout tenter pour aller au-delà du possible afin de créer les meilleures conditions de l’amélioration.
L’idée reçue et la caricature de l’ex-banquier ne sont plus de mise. Henri Emmanuelli, chef de la gauche du PS, avait été banquier bien plus longtemps qu’Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ayant milité à ses côtés durant de nombreuses années.
Il ne s’agit pas de donner blanc-seing au nouveau Président. Mais il ne sert à rien non plus de lui tomber dessus à bras raccourcis alors qu’il ne gouvernera pas seul et qu’il n’a pas encore débuté son mandat. Donnons-lui au moins sa chance, laissons-le œuvrer pour le bien de la France. Si un homme peut rester droit dans ses bottes pour discourir sous les cris et les insultes des travailleurs et des syndicats de Whirlpool pendant deux heures et repartir avec leur égard malgré l’emprise de leur souffrance, je ne vois pourquoi il n’aurait pas cette capacité de faire de même avec l’ensemble du peuple français. De diviser, de réagir à l’emporte-pièces ou de fuir n’est pas dans sa nature. Il y aura beaucoup d’opposition dans les temps qui viennent mais celle-ci ne l’effraie pas. Il devrait savoir négocier, discuter, le plus équitablement possible, même si le mot politique n’est pas toujours synonyme d’équité. La responsabilité de ce Président sera de faire envers et contre tout son maximum et même bien au-delà pour répondre aux attentes. Au risque du bruit, de la fureur et des conflits à la chaîne.
C’est d’un leader dont nous avons besoin. De quelqu’un qui ne dise pas toujours « amen » pour plaire et s’en laver ensuite les mains, de quelqu’un qui ne crie pas non plus « dehors » pour faire gronder davantage encore la révolte. Et s’il ne peut promettre le bonheur, ce Président-là s’est engagé au moins à faire chaque année le point sur son travail et à être passé au crible par les Français pour toutes questions qu’ils jugeront utiles de lui poser, notamment en live sur un site web d’information indépendant.

En ces temps troublés de confusion et de révolte où chacun se déchire au milieu des plaies à vif laissées par un système qui a vu ses limites, la médisance, la haine et la violence des mots ne peuvent être un idéal d’avenir et de dialogue. Elles ne plaident pas en faveur de la combattivité et de l’adaptabilité nécessaires face aux nouveaux enjeux sociétaux, ces nobles vertus qui aident souvent à mieux rebondir et à mieux entreprendre pour inverser la tendance au fatalisme et à la désespérance.
A l’époque d’Internet et des réseaux sociaux où la manipulation, la croyance en de fausses informations provenant de sites peu fiables et le commentaire sur les rumeurs non fondées ont pris le pas sur l’esprit de discernement pour créer davantage encore la division, les violentes réactions émotionnelles n’ont pour conséquences que d’amplifier la confusion et le malheur dans nos sociétés. De prendre la mesure de ces méfaits et de chercher l’information véritable, c’est déjà sortir de la brume l’esprit objectif pour être avoir une pensée plus juste.
Qui plus est, si chacun d’entre nous n’œuvre pas un minimum pour opérer un changement d’état d’esprit afin de mieux accepter l’autre, le débat, les prises de positions différentes, dans le simple but de comprendre les tenant et aboutissant des problèmes qui nous préoccupent et de trouver des solutions aux désaccords – il  y va de notre propre intérêt, de celui de la nation toute entière et de l’avenir de nos enfants – tout risque alors de n’être plus que délabrement, guerre civile et destruction.