mercredi 31 janvier 2018

Centaure (2017) de Aktan Arym Kubat : un chef d'oeuvre

Ça commence comme Urga de Nikita Mikhalkov avec des steppes, des chevaux et des images westerniennes dans un beau cinémascope qui vous remplit les yeux. Le film auquel on va assister nous rappelle à la grandeur du cinéma, aux maîtres de jadis, John Ford en tête. Mieux qu’un grand film Centaure est tout simplement un chef d’œuvre. Une belle œuvre, bouleversante, engagée et qui élève l’âme. Ce 5ème long-métrage du grand réalisateur kirghiz Aktan Arym Kubat (auteur entre autres du Fils adoptif et du Voleur de lumière) est un plaisir de chaque instant, une leçon d’humanité et de courage, un pamphlet contre l’obscurantisme, un rayon de lumière comme peut l’être un film de Chaplin ou de Douglas Sirk. C’est de la vie quotidienne d’un village du Kirghizistan que le cinéaste puise son inspiration, nous relatant ses traditions et son langage qui peu à peu se dissipent comme dans un brouillard depuis la chute de l’empire soviétique. Tout ici n’est que vie et frémissements, la cruauté et le conflit ne réussissant qu’à élargir les champs et l’horizon de l’âme qui perdure au-delà de tout.



L’histoire du personnage principal nommé Centaure, mi-homme mi-cheval et à qui l’animal « donne des ailes » est exemplaire parce qu’elle nous invite à la réflexion sur le devenir des humains et à ce que le monde de la marchandisation et de l’intolérance leur a laissé en guise d’héritage. Un monde pris dans un vain tourbillon qui voudrait occulter toute forme de justice, d’humanité et de compassion sans savoir qu’il court à sa perte. Si le film est universel c’est que chacun d’entre nous, où qu'il soit, peut s'y retrouver. Pas l’once ici d’une caricature mais pure authenticité et sincérité. Le langage cinématographique est maîtrisé, du moindre cadrage au moindre son, musique en prime à découvrir. Ce film devrait être montré sur tous les écrans en contrepoids avec bien des produits qu’on nous assène, il devrait être visionné dans toutes les écoles pour redonner une spiritualité aux enfants. Le spectacle agit sur nos consciences comme le ferait un conte, une légende universelle qui nous touche au plus profond. J’ai rencontré et parlé avec son réalisateur, venu spécialement du Kirghizistan pour nous le présenter, il est à l’image de ce qu’est son œuvre : un homme humble, bienveillant et doté d’humour. Il joue lui-même dans son propre film avec des acteurs qui possèdent une justesse sans pareil. Cette projection demeure pour moi une expérience d’une intensité peu commune.

Aktan Arym Kubat dans Centaure (2017)

lundi 29 janvier 2018

Retour sur "Le choix des armes" (1981)

Retour sur Le choix des armes (1981) à l’occasion de sa diffusion sur Arte. Beau polar d’Alain Corneau qui prit la relève en ce début des années 80 des Melville, Giovanni et Deray, s’inscrivant dans la pure tradition d’un genre qui fit les beaux jours du cinéma français, avant qu’Olivier Marchal ne reprenne à son tour le flambeau.  Film crépusculaire, social, sur fond de banlieue, où truands de la bourgeoisie et des quartiers déshérités s’affrontent face à une police digne du Cercle rouge. Casting de choix : Montand, Depardieu, Deneuve, Galabru, Lanvin, Anconina, l’ancienne génération et la relève d’alors. Seconds rôles remarquables : Jean Rougerie, Etienne Chicot, Jean-Claude Dauphin. Mise en scène millimétrée du réalisateur des formidables  Police python 357  et Série noire  sur un scénario complexe de Michel Grisolia, auteur entre autres de Flic ou voyou , de J’embrasse pas  et qui signa l’adaptation de L’étoile du Nord  de Granier-Deferre, cinéaste qu’il faudra réhabiliter un jour. Superbe photo de Pierre-William Glenn, partition jazz de Philippe Sarde non moins réussie avec Ron Carter et Buster Williams à la basse. En terme de B.O, Clint Eastwood n’aurait pas fait mieux. On mesure le temps passé avec ce film où en matière d’épaisseur de récit et de personnages les auteurs nous manquent aujourd’hui cruellement, si l’on excepte Jacques Audiard et Cedric Kahn. Malgré un happy end quelque peu invraisemblable le film séduit encore de par sa maîtrise incontestable, d’autant plus que la confrontation Montand-Depardieu mérite à elle seule le détour. Leur puissance de jeu et d’évocation crève l’écran au même titre que Delon et Reggiani chez Melville. Le choix des armes reste l’un des grands films français du début des années 80 et auquel la dimension classique donne une intemporalité que peu d’oeuvres de cette période possèdent encore.

Gérard Depardieu dans Le choix des armes 

mardi 23 janvier 2018

Cinéma au féminin

Lorsque vers 12-13 ans je commençais à m’intéresser sérieusement au cinéma, je m’aperçus en consultant les livres et les génériques que les réalisatrices étaient quasiment inexistantes. Le seul nom qui figurait dans le Larousse de l’époque était celui d’Agnès Varda, compte tenu sans doute de sa contribution à la Nouvelle Vague. Mais Agnès n’était pas l’une des cinéastes de ce mouvement, elle était LA Nouvelle Vague puisque son premier film La pointe courte datait de 1954, donc avant l’arrivée de Truffaut, Godard, Chabrol et Rivette. M’intéressant de plus près au cinéma des femmes c’est avec bonheur que je découvris Le bonheur (1964) d’Agnès, encore et toujours, et, au hasard des programmations TV, Le secret du chevalier d’Éon (1959) d’une certaine Jacqueline Audry, autre pionnière dont je vis plus tard tous les films. Puis ce fut le magnifique Galillée (1968) de Liliana Cavani qui révéla aussi pour moi le nom d’Ennio Morricone. Il ne m’en fallut pas davantage pour déguster les merveilleuses Petites marguerites (1966) de Vera Chytilova et l’oublié et sensible Cati (1965) de Marta Meszaros lors des séances du ciné-club de Claude-Jean Philippe. Je m’intéressai aussi à Alice Guy et à Germaine Dulac, premières femmes à s’être emparées d’une caméra à la période du muet, et à Ida Lupino aux Etats-Unis dont il était encore difficile de voir les films. Son Outrage dénonçait en 1950 le viol et The bigamist, en 1952, dressait un portrait sans concession du couple.

Alice Guy-Blaché (1873-1968)

Nous étions alors en plein mouvement féministe et les réalisatrices commençaient à émerger de toutes parts: Lina Wertmuller et Liliana Cavani en Italie, Margarethe Von Trotta, Helma Sanders-Brahms en Allemagne, Chantal Ackerman en Belgique, Coline Serreau en France, dont le cinéma engagé avec le documentaire Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? (1975) abordait la condition des femmes. 
Si je me suis intéressé au cinéma des femmes c’est parce qu’il constituait un contre pouvoir à l’hégémonie masculine. Son regard différent, dérangeant, résonnait en moi comme un cri. Pour preuve le bouleversant Wanda (1970) de Barbara Loden, sorte de road movie louant le désir d’émancipation et de liberté de la cinéaste qui se mettait en scène elle-même. Ce fut aussi le cas de Christine Pascal dans le très beau Félicité (1979), film de mise à nu hélas très méconnu et que je programmais dans mon ciné-club.

Christine Pascal (1953-1996)

Cet engouement ne m’a jamais quitté, étant toujours prêt à défendre le cinéma de l’une ou de l’autre et travaillant la plupart du temps avec des scénaristes femmes. Je n’oublie pas non plus que Nelly Kaplan (dont le décapant La fiancée du pirate, 1969, est à revoir) et avec laquelle j’ai eu la chance de collaborer à mes débuts, m’a encouragé à faire mon premier court-métrage.

En ces temps de bouleversements et de remise en question, le cinéma au féminin mérite plus que jamais notre attention. Je ne saurai que conseiller d’être attentif aux films qui sortent fabriqués par des femmes, parce que c’est un regard que nous connaissons trop peu au cinéma et que ce regard nous aide à progresser.

Claudia Llosa, réalisatrice de Fausta (2009)