samedi 23 avril 2016

La baie des anges de Jacques Demy : du noir et du blanc


La baie des anges (1962) de Jacques Demy, dans une belle copie restaurée au noir et blanc dense et clair comme la lumière du Sud. Dès le générique on est emporté par un travelling qui nous éloigne à grande vitesse de la baie de Nice, comme le feront plus tard les deux héros que sont Jean et Jacqueline, interprétés par Claude Mann et Jeanne Moreau. Un film à l’envers, tel un flashback fulgurant, un rêve à jamais perdu, brisant les règles de l’art. On est presque dans du Flaubert où les sentiments virevoltent de l’aube au crépuscule, en danse décadente, sur le fil du temps présent. On joue, on perd, l’instant d’après l'on gagne, le mouvement de la vie nous emporte, tourbillonnant, dans une sorte d’ivresse. Ici le jeu est davantage que les chiffres de la roulette. Il est ce mouvement qui, au fil des casinos et des tables, retombe, s’étiole puis repart vers une nouvelle envolée au moment où l’on n'y croyait plus. Amour perdu, retrouvé, éphémère.


Le film est en tout point une réussite, l’une de celles que la Nouvelle Vague française a magistralement opérée au début des années 60. Années bénies, de lumière, de liberté, d’innocence, à jamais éteintes, seulement rallumées par la magie de la pellicule, proustienne, défilant sous nos yeux hagards ou éblouis. Un film d’une jeunesse incroyable, tellement audacieux, au détriment des conventions et avec cette légèreté empreinte de gravité qu’on retrouve chez des cinéastes comme Michel Deville ou chez les italiens, Dino Risi, Pietro Germi... Sous le vernis des voitures décapotables, des robes du soir et des palmiers au vent des croisettes, c’est de l’absurdité des existences dont Jacques Demy nous parle. « Que l’on soit à Paris ou ici qu’importe après tout… Il faut bien être quelque part » nous dit Jacqueline-Jeanne Moreau en blonde, tailleur blanc, fumant des Lucky Strike. Un film où le temps passe, à la recherche du bonheur, fuyant comme la vague, inaccessible peut-être, si peu que l’on décide d’échapper à de mornes existences. Un film libre, féminin, fait de noir et de blanc, quête d'absolu toute en désespérance sur le fil des possibles.

vendredi 1 avril 2016

« 24 jours» d'Alexandre Arcady, film méconnu et sous-estimé



24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi d'Alexandre Arcady, actuellement diffusé sur Ciné +, est l'un des films importants du cinéma français de ces dernières années, injustement boudé par la public et décrié, voire méprisé par une partie de la critique lors de sa sortie en 2014. Rappelons que le film relate l'enlèvement, la torture et l'exécution à Paris en 2006 du jeune Ilan Halimi par Youssouf Fofana et ses 29 complices surnommés « le gang des barbares », rançonnant des juifs. De façon précise et authentique le film nous plonge au coeur de la terrifiante affaire qui secoua le pays et remonta dans les plus hautes sphères de l'Etat, faisant apparaître le regain d'un antisémitisme qu'on croyait évaporé. D'abord qualifié de crime crapuleux, c'est sous la pression d'une partie de la population et surtout de Ruth Halimi, la mère d'Ilan, que le tabou finit par sauter à la figure des pouvoirs publics. Ruth Halimi, lors de son intervention à RTL, fut la première à alerter l'opinion : « Que ce soit clair, si mon fils n'avait pas été juif il n'aurait pas été assassiné. » 

Zabou Breitman et Pascal Elbé dans 24 jours 
 
Le film d'Alexandre Arcady n'a pas d'autre prétention que de décrire sobrement les tenants et aboutissements de cette affaire, avec une précision et une authenticité irréprochables. Utilisant le temps réel comme fil de narration, rien ne nous est épargné de l'effroyable événement qui mobilisa d'importants effectifs de police jusqu'à l'arrestation des membres du gang et à celle de Fofana en Côte d'Ivoire en mars 2006. Extradé par Laurent Gbagbo avant d'être rapatrié en France pour comparaitre devant la justice, le cerveau du gang, islamiste radical et antisémite convaincu, écopera de la prison à perpétuité assortie de 22 ans de sûreté. C'est davantage encore que la description des sévices subis par Ilan Halimi et du calvaire omniprésent vécu par sa famille que le réalisateur relate mais bien en premier lieu le tabou de l'antisémitisme. Sans état d'âme, Arcady aborde l'incompréhension qui réside durant l'enquête entre la famille Halimi et la police, au-delà des moyens mis en oeuvre par celle-ci, le crime antisémite n'étant pas accepté ni reconnu comme tel, voire passé sous silence. En ce sens le film prend une véritable valeur historique et sonne comme un cri d'alerte, ce à quoi le cinéma français ne nous a plus habitué depuis longtemps. Son engagement aussi courageux que sincère mérite une relecture pour ne pas dire une découverte pour le public grâce à son passage à la télévision, tout du moins cryptée pour l'instant. Il faut saluer l'interprétation sans failles des acteurs à commencer par Zabou Breitman, bouleversante d'un bout à l'autre, qui campe Ruth Halimi avec une puissance d'évocation et une vérité pour le moins saisissantes. Pascal Elbé dans le rôle du père d'Ilan est remarquable de concision tout comme Jacques Gamblin, Sylvie Testud et Eric Caravaca, en fonctionnaires de police aussi rigoureux que dépassés par les événements. 

Jacques Gamblin et Eric Caravaca dans 24 jours
 
Si le film relève de l'essentiel et, j'irais plus loin, devrait être montré dans les écoles, c'est parce que les faits qui y sont dénoncés ont pris valeur de symbole. Récemment Dieudonné appelait à la libération de Fofana et le bourreau lui-même se préparait de sa cellule à fêter le dixième anniversaire de la mort de sa victime. Il ne peut y avoir d'abandon des consciences ni de laisser-faire et le film participe largement de cet engagement.