Après ce téléfilm
trépidant, j’avais davantage de chances d’obtenir un stage sur un plateau de
cinéma.
À force de les rappeler
régulièrement, la plupart des assistants me connaissaient. Dorénavant mon
acquis les rassurait, même s’ils n’avaient pas encore de place pour moi.
Un jour, dans la revue
professionnelle Le Film Français, on informait que le nouveau film d’André
Téchiné, Hôtel des Amériques, se tournerait à Biarritz. Né à Bayonne et ayant
vécu cinq ans à Bidart, mon oncle et ma tante habitaient également Biarritz,
c’était une occasion inespérée : je devais être crédible comme habitant de
la région.
Coup de fil à la
production des films d’Alain Sarde. Le premier assistant, Alain Centonze, était
intéressé par ma candidature : j’avais déjà fait un stage et étais censé
vivre dans la région, donc logé sur place, ce qui limitait les dépenses de la
production et évitait les défraiements. L’assistant était prêt à me rencontrer
à Biarritz le moment venu. Je lui ai proposé de venir à Paris, il a accepté, et
nous avons pris rendez-vous pour le lendemain. Je raccrochais, fou de joie, et
sortais de ma cabine téléphonique qui se situait à Montparnasse. Cette fois je
tenais ma chance.
Fred Astaire dans Top hat (1935)
de Mark Sandrich
Le lendemain, après m’être
envoyé un Cognac, je pénétrais à l’heure dite dans les bureaux de la
production, gonflé à bloc. Pour un peu, j’aurais porté un béret basque en
poussant l’Irrintzina, le cri des bergers pyrénéens…
Alain Centonze m’a reçu,
jovial. Il a d’abord voulu savoir pourquoi s’était passé autant de temps entre
la sortie de l’école et mon premier stage. Je lui ai expliqué qu’il y avait eu
plus d’une année de recherches interrompue par plusieurs jobs, et six mois de
bataille pour finir par m’imposer sur un téléfilm. Il a fini par me faire confiance, disant que maintenant je n’avais plus de temps à perdre. Présenté à la
directrice de production, je signais mon premier contrat et, le scénario entre
les mains, j’étais convoqué pour la semaine suivante à Biarritz.
Je n’en revenais pas, ça
avait marché. Je me battais depuis plus de deux ans pour obtenir un stage au
cinéma, et me retrouvais sur le film d’un grand metteur en scène avec Catherine
Deneuve et Patrick Dewaere. Alain m’avouera par la suite que le fils d’une
figure de la profession devait effectuer le stage à ma place. Le jeune homme
avait préféré partir en vacances, et c’était à lui que je devais mon salut.
J’ai dévoré le scénario le
soir même, en appréciant le style, les dialogues, et tout ce qui manquait à mon
éducation de scénariste.
Téchiné retravaille beaucoup sur ses scripts. Entre la
version originale et celle qui est tournée, il effectue de nombreux
remaniements dans les dialogues, parfois au jour le jour, et son scénariste, en
l’occurrence Gilles Taurand, est présent sur le plateau. Chaque matin nous
parvenaient de nouvelles séquences peaufinées avec minutie, et cet enseignement
de l’écriture, agrémentée par la courtoisie et la sympathie de Gilles, fut pour
moi une aide considérable.
Gilles Taurand par Antoine Doyen
Il ne me restait qu’à
descendre dans une ville où je n’avais pas remis les pieds depuis l’âge de cinq
ans.
Comme je ne pouvais pas
loger dans ma famille, j’ai loué une chambre dans une villa et sillonné ensuite
Biarritz et ses environs pendant une semaine, apprenant par cœur le nom des rues,
mémorisant chaque commerce, bâtiment administratif et endroit où l’on serait
susceptible de m’envoyer.
La veille du tournage, fin
prêt, j’arrivais à l’hôtel Carlina tandis que l’équipe du film s’installait. Un
foulard dans les cheveux, une femme à l’allure simple sortit d’une voiture,
chaussée d’une paire de tennis, inspirant tout de suite la sympathie.
Souriante, elle vint vers nous pour nous saluer et je reconnus Catherine
Deneuve.
J’ai toujours été frappé
de voir à quel point les grands acteurs paraissent tout simples dans la vie et
se mettent à rayonner sous la lumière des projecteurs. La magie du cinéma fait
apparaître mille couleurs d’eux-mêmes, les faisant briller d’une lumière
éclatante qui s’atténue dans le quotidien. Sans doute est-ce pour cela que j’ai
choisi ce métier, un metteur en scène est aussi un peu un acteur, pour pouvoir
vivre une seconde vie rêvée que la banalité des jours ne permet pas.
Hôtel des Amériques (1981)
Rien ne laissait
transparaître le statut de star de l’inoubliable interprète de Belle de jour, et elle m’adopta
instantanément. Je lui suis reconnaissant de m’avoir tout de suite mis à l’aise
dans un milieu que je ne connaissais pas, me considérant comme les autres
techniciens, sans barrières sociales. J’eus à m’occuper d’elle dans les jours
qui suivirent pour choisir méticuleusement des accessoires de jeu, et notre
collaboration fut aussi agréable que riche d’enseignement. Dans le respect et
le professionnalisme, Catherine a toujours fait preuve à mon égard, et dans des
situations parfois inconfortables, d’un sang-froid et d’un fair-play
exemplaires. Je lui dois beaucoup de la confiance qui s’est instaurée en moi
dans ma relation aux acteurs.
Patrick Dewaere a eu ce
même élan de générosité. Bourré d’humour, ce grand artiste m’a laissé une empreinte
indélébile, m’apprenant lui aussi à user de précautions avec ceux qui sont en
première ligne sur le plateau. Les acteurs ont toujours la réputation d’être
des personnalités difficiles, mais l’on ne se rend pas compte à quel point il
est délicat de conserver chaque jour la concentration nécessaire au milieu du
tourbillon de la vie, du bruit et de la fureur qui émanent d’un tournage.
Chaque jour, parfois pendant quinze heures d’affilée, ils doivent être le
personnage qu’ils jouent, sans que le public ne se rende compte de toutes les
plages intermédiaires qui les agressent et les en détournent.
Patrick Dewaere entrait de
plein fouet dans son personnage et donnait tout de lui-même. Dans la dernière
scène du film, lorsqu’il attend seul sur le quai pour partir retrouver Hélène,
il est bouleversant.
Plus rien n’allait être
pareil dans le cinéma français quand il disparut quelque temps plus tard.
Hôtel des Amériques (1981)
Les autres acteurs, dont
Josiane Balasko dans un rôle étonnant de jeune femme désabusée, et la plupart des
techniciens m’ont accueilli comme si j’étais en famille. Grâce à eux, j’ai
bénéficié d’une formation exceptionnelle. Une seule personne a essayé
d’interférer : « Est-ce que tu as vu au moins avec qui tu
travailles…? Sais-tu qu’on ne parle pas à Catherine Deneuve quand on est
stagiaire... ? Tu es fou, tu veux te faire virer... ? » Or son
travail n’a pas satisfait le metteur en scène qui l’a congédié quelques jours
plus tard.
N’ayant eu qu’une soirée
de préparation, j’ai vécu ce tournage comme une véritable course contre la
montre pour réunir tous les éléments demandés. Alain Centonze, avec la seconde
assistante Charlotte Trench, prenaient toujours de leur temps précieux pour me
former aux impératifs du film. Ils sont devenus des amis par la suite, et la connaissance
du cinéma d’Alain m’a particulièrement aidée en ce qui concerne les choix de
production pour mon premier long-métrage.
Suant sang et eau, dormant
peu – les prises de vues avaient lieu de nuit et je les préparais dans la
journée – j’ai encaissé des moments de stress insensés. Mais grâce au poste
d’accessoiriste, le grand avantage était de me trouver en permanence sur le
plateau, « à la face », comme disent les techniciens, ce qui arrive
rarement au stagiaire occupé en principe à faire le silence à l’extérieur ou à
barrer les rues pour empêcher la circulation. Réaménageant en permanence les
décors, fabriquant de la fausse pluie, bricolant des accessoires, m’occupant de
ceux qu’utilisaient personnellement les acteurs, je pouvais observer à loisir
leur jeu ainsi que le réglage de la lumière et consulter les cadrages. Je
collaborais en permanence avec les comédiens, le metteur en scène, l’équipe
caméra et la scripte.
La nuit américaine (1973)
de François Truffaut
Un jour, j’ai dû
renouveler seul pendant huit heures, dans un restaurant ultra chic, des repas
destinés aux personnages principaux et à une cinquantaine de figurants. Au fur
et à mesure qu’une prise de vue était tournée et que les acteurs avaient entamé
leur plat, il me fallait resservir le même, que j’avais préparé en plusieurs
exemplaires dans les cuisines. Tandis que les gens mangeaient, je courrais
d’une table à l’autre, en nage, pour fournir le stock de nourriture en fonction
des cadrages et de l’évolution de la séquence. Le soir, j’étais mort.
Les temps modernes (1936)
On tournait en 35 mm cinémascope
et pour moi c’était le top. Je voyais pour la première fois une caméra
Panavision, des plans à la grue, et surtout un grand chef opérateur, Bruno
Nuytten, travailler sur la lumière. Il expérimentait en permanence de nouvelles
techniques, à partir de celles, beaucoup plus artisanales, qu’il avait
développé notamment sur des films à petit budget avec Marguerite Duras. Ces
derniers, tournés quasiment en lumière du jour ou avec peu de projecteurs, lui
avaient permis de créer une nouvelle approche plus réaliste de l’image, sans
qu’elle ne perde jamais de son émotion cinématographique. Il a été l’un des
premiers en France à utiliser en particulier les projecteurs dits H.M.I, au
rendement lumineux très élevé et proche de la lumière du jour, pour une consommation
électrique pourtant moindre.
Bruno Nuytten
Bruno ne se reposait
jamais sur un acquis, les moyens ne servaient qu’à améliorer sa vision, à
peaufiner des ambiances d’une sensibilité bouleversante. Formé à l’I.N.S.A.S de
Bruxelles, l’une des meilleures écoles d’opérateurs du monde, il passait son
temps à inventer de nouvelles techniques. Sa cave était remplie de boîtes de
pellicules dont il testait la résistance au temps, ce qui pouvait donner
parfois des résultats surprenants dans le virement des couleurs, qu’il étudiait
scientifiquement. Ce compagnon de route fut l’une des personnalités les plus
passionnantes que je rencontrai dans le cinéma. Il s’est brillamment illustré
par la suite dans la mise en scène
avec Camille Claudel, et je regrette qu’il ne soit pas plus présent dans notre
cinéma.
Catherine Deneuve et André Téchiné
André Téchiné, quoique
plus secret et plus réservé, n’en est pas pour le moins remarquable. Très
imprégné de cinéma à l’ancienne, l’un de ses maîtres est je crois Joseph Mankiewicz,
il parvient toujours de par son approche sensible à faire ressortir toute une
palette de sentiments chez les acteurs. C’est un réalisateur qui prend souvent
des risques, il travaille sur le fil du rasoir, et même si tout n’est pas
réussi dans son œuvre, il a donné quelques grands films. Les sœurs Brontë, qui a tellement été
malmené de son temps, est je pense à redécouvrir, et parmi mes préférés
figurent aussi Le lieu du crime, Les roseaux sauvages et Ma saison préférée. Je suis très fier
d’avoir participé à Hôtel des Amériques.
François Mitterrand venait
d’être élu Président. Sur le tournage, tout le monde fêtait la naissance d’une
nouvelle société dans laquelle Alain Delon n’aurait plus jamais la tête
tranchée à la fin d’un film de José Giovanni…
Deux hommes dans la ville (1973)
Il arrive parfois qu’un
réalisateur ne sache pas ce qui se trame dans les coulisses du film qu’il
tourne, et c’est tant mieux. Quand un plan est compliqué à réaliser, tout le
monde sur le plateau sait qu’il va s’y reprendre à plusieurs fois. J’ai assisté
à des paris sur le nombre de prises de vues qu’André Téchiné allait un jour
effectuer. Un technicien passa discrètement parmi l’équipe avec un chapeau,
chacun misa sur le numéro de la dernière prise, et lorsque le plan fut dans la
boîte, la gagnante emporta la mise. Je fus stupéfait d’assister à ce jeu,
d’autant plus qu’un membre de l’équipe escompta jusqu’à trente prises pour le
même plan. Cette vision m’a donné un certain recul sur le métier de
réalisateur. Un jour, on misera peut-être dans un chapeau sur l’un de mes films.
En deux longs-métrages, je
commençais à me sentir à l’aise sur un plateau. J’avais déjà envie d’être
second assistant, d’intervenir plus en amont sur la préparation, d’assister au
casting et à l’élaboration du plan de travail.
Le tournage à Biarritz s’acheva.
Il restait encore une semaine à Paris et je n’avais pas l’intention de la
manquer. Je signalais ma possibilité d’être aussi logé sur place, et la
production accepta ma présence pour la dernière partie du tournage.
Le lendemain, je quittais
définitivement la Côte basque avec l’équipe. Il était temps, ma voiture brûla
sur la route après un court-circuit et un retour de flamme. Par chance je me
suis extirpé juste assez tôt en retirant de précieux accessoires
« raccord » pour le tournage.
Une fois retourné à
Paname, je regagnais tous les soirs mon studio du 15e arrondissement
et ne dirais la vérité sur ma domiciliation véritable qu’au repas de fin de
film.
Pendant quelque temps, je
suis passé dans le métier pour l’assistant réalisateur qui avait toujours un
parent dans une ville de France.
Rêve d’enfant dans une salle obscure, récit. © Bruno François-Boucher, 2011.
Merci beaucoup, vous mettez mon rêve en mots. Quelle chance d'avoir assisté à cela, d'avoir débuté aux cotés d'un aussi grand réalisateur et d'aussi grands comédiens.. Quelle chance aussi d'avoir vécu à cette époque. Je vous envie beaucoup. Peut-être aurai-je un jour la chance de vivre la même chose que vous !
RépondreSupprimerJe l'espère. Ce récit est là pour montrer que c'est possible. Possible pour toute personne passionnée et prête à franchir des montagnes. Ensuite il y a une part de chance, on ne sait jamais d'où elle peut venir. J'ai eu la chance de démarrer avec Téchiné, mais j'ai aussi tout fait pour que cela soit possible. La seule chose que j'ai manquée, c'est de travailler avec Truffaut que j'adorais. Son assistante m'avait proposé de travailler sur "Vivement dimanche", mais j'étais hélas pris sur une autre production. Cela aurait été extraordinaire. Merci pour votre commentaire et surtout ne lâchez jamais !
RépondreSupprimerMais peut-on provoquer la chance ? Je suis en classe de cinéma. Nous avons réalisé il y a peu un court-métrage rendant hommage à un couple de réalisateurs belges, que nous avons rencontré. C'était un petit projet, qui occupa cependant une place importante dans mon quotidien passionnant de lycéenne... Le résultat, projeté au cinéma, ne fut pas à la hauteur de mes attentes, mais l'expérience était enrichissante et me permit de vivre des instants surréalistes. Les montagnes d'aujourd'hui ne demandent qu'à être franchies ! Encore merci à vous, et bonne continuation !
RépondreSupprimerAlain était comme mon papa mort il y a 7 ans jour pour jour... K
RépondreSupprimerVous me l'apprenez et j'en suis attristé. Je lui dois mon entrée dans ce métier. C'était un très grand technicien, il avait une connaissance extraordinaire du cinéma. Je pense à Charlotte que j'ai bien connu et je regrette de les avoir tous les deux perdus de vue. Nous avions une passion pour les polars de la série noire. Si vous qu'on parle d'Alain ce sera avec plaisir. :-) motionpictures@orange.fr
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