mercredi 27 avril 2011

Claude Chabrol ou le sens aigu du récit


Claude Chabrol n’était pas l’un de mes réalisateurs français préférés, mais j’ai vu l’intégrale de ses films et étudié son cinéma pour ne pas passer à côté de l’un de ceux que l’on considère, ici et ailleurs, comme un maître. Si j’ai toujours eu quelque difficulté à entrer dans l’univers visuel et musical du cinéaste, je n’en reconnais pas moins le sens aigu du récit, les bons mots, et surtout l’excellence de ses interprètes parmi lesquels Stéphane Audran, Michel Bouquet, Isabelle Huppert, Jean-Pierre Cassel, Michel Duchaussoy, Jean Yanne ou Michel Serrault.

Isabelle Huppert dans Madame Bovary (1991)

Ces dernières années, je ne retrouvais pas la verve de ses débuts (du Beau Serge aux Noces rouges il n’a cessé de nous régaler par son écriture iconoclaste), même si dernièrement Bellamy me fit passer d’excellents moments, la rencontre croustillante Depardieu-Chabrol étant à la hauteur de l’attente. Le cinéma de Chabrol est ainsi fait de personnages semblant sortis tout droit d’un Balzac qui aurait rencontré Georges Simenon en cours de route.

Ses premiers films marquèrent, notamment ceux en noir et blanc, de par leur tentative téméraire pour l’époque de tordre le cou à l’ordre bourgeois, tout en étant dotés d’un sens aigu de la dramaturgie inspirée des plus grands cinéastes. On connaît l’admiration que Chabrol avait pour Hitchcock – il écrivit un livre sur lui avec Eric Rohmer – et surtout pour Fritz Lang, cinéaste dont l’oeuvre fut hantée par le sentiment de culpabilité, un thème qui fascinait l’auteur de Violette Nozière.


Jacques Charrier dans L'oeil du malin (1961)

Personnellement je n’ai jamais été grand partisan de ses Bonnes femmes, que certains citent comme étant le chef d’œuvre de Chabrol, mais la période du réalisateur pour laquelle j’éprouve une très grande admiration se situe entre Le scandale, film souvent détesté, et La décade prodigieuse, autre oeuvre bannie et victime d’un parti pris extrêmement réducteur de la part de la critique. Ce que j’aime précisément dans ces films c’est la déraison qui s’en dégage et leur liberté de ton à l’opposé de tout classicisme. Peintures hallucinées de la société bourgeoise dans l’expression la plus forte de son aliénation, elles font littéralement voler en éclats le socle dans lequel le groupe est implanté. Anthony Perkins et Orson Welles y étaient effrayants de perversité.

Anthony Perkins dans La décade prodigieuse (1971)

Mais la quintessence de l’œuvre chabrolienne se situe pour moi dans la pentalogie  La femme infidèle, Que la bête meure, Le boucher, La rupture et Juste avant la nuit, films parfaitement équilibrés faisant preuve de très grande sensibilité, qui mettent subtilement en scène des personnages à la fois monstrueux et empreints d’une touchante humanité. À l’opposé de toute caricature, le cinéaste nous entraîne au cœur de l’âme humaine dans sa complexité, et parvient avec beaucoup d’émotion et de retenue à nous faire réfléchir sur ses faiblesses et ses contradictions.

Michel Bouquet dans La femme infidèle (1968)