mercredi 20 juin 2012

Les lettres portugaises (en post-production)

     Une aventure incroyable que celle du tournage des Lettres portugaises. Commencée en octobre 2011, après avoir songé en faire d’abord une pièce de théâtre, je n'aurais jamais pensé cet exploit possible de tourner un long-métrage, dont toute une partie d'époque, en 10 jours exactement. Tout est allé extrêmement vite. Les gens se sont très vite intéressés au projet et j’ai écrit le scénario en 15 jours pendant les vacances de Noël. Dès le mois de janvier je commençais les repérages, et deux mois plus tard on avait le financement et le film se tournait.

Ségolène Point dans 
Les lettres portugaises (2013)

       Un challenge insensé, terriblement difficile et éprouvant, mais riche d'enseignement. Jamais en une vie de cinéma je n'avais vécu pareille aventure : intense, hors normes et à contre-courant de tout ce qui se fait actuellement. Tourné dans la langue française du XVIIème siècle, avec quasiment un seul personnage à l’écran, le pari tenait du miracle. Et le miracle a eu lieu.

Les lettres portugaises (2013)
de Bruno François-Boucher et Jean-Paul Seaulieu

     L'actrice Ségolène Point porte le film sur ses épaules et l'équipe a accompli des prouesses. J'en ressors lessivé, comme passé au lavomatic. Stanley Kubrick avait bien raison de dire que faire un film équivaut à écrire Guerre et paix dans une auto tamponneuse. Certes mon Guerre et Paix est moins dense et moins long, mais la concentration de toutes les forces sur 10 jours valent bien un ou deux chapîtres de Léon Tolstoï. De la Touraine au bord de l'océan à Carvalhal, au Portugal, en passant par la plaine de l'Alentejo jusqu'à Beja où vécut l'héroïne du film Mariana Alcoforado, mon périple a ressemblé à un road movie fou, mené tambour battant pour en venir à bout, le mot « atypique » semblant faible pour définir ce long-métrage.

Nicolas Herman dans
Les lettres portugaises (2013)

Il me semble être revenu d'une sorte de cratère en feu, étourdi après tant de lutte pour assurer l'impossible avec une équipe de seulement 10 personnes. Courir fut ma devise, partout et en tout moment. Nous ne nous sommes pratiquement servis que de la lumière du jour, pas les moyens de faire autrement, et ce fut une autre course contre la montre pour suivre la courbe du soleil jusqu'au crépuscule, chaque plan étant tributaire de lui, surtout pour les intérieurs du couvent. Grâce à la définition extraordinaire du Canon 7D et surtout de la caméra Red One Epic tout fut possible, ce qui était encore impensable il y a quelques années avec de la pellicule. Chaque plan, bercé de magie, est né d'un gouffre sans fin dans lequel nous nous sommes plongés à chaque instant pour la faire apparaître.

Ségolène Point dans 
Les lettres portugaises (2013)

Quel est donc cet O.V.N.I que Les lettres portugaises, seuls les spectateurs pourront y répondre dans quelques temps. Je suis vivant, envers et contre tout un système qui m'aurait empêché de faire ce film, si avec une poignée d'amis nous n'avions décidés de le faire.


Ségolène Point dans
dans Les lettres portugaises (2013)


    Film © 2013 KapFilms
Photos © 2013 Marion Fortini, Sandy Mourguet, Jonathan Gredler.

lundi 4 juin 2012

Retour sur « Duel »

Revu hier avec des enfants Duel, l'un des premiers films de Steven Spielberg. Au début ils ont quelque peine à entrer dans le film (l'automobiliste qui sort de chez lui, les paysages qui défilent avant que l'on ne découvre le camion...) mais très vite, dès que celui-ci apparaît, ils commencent à s'intéresser. La seule question qu'ils posent durant la projection est : "Est-ce qu'on va voir le chauffeur du camion ?". Quand ils comprennent qu'ils ne le verront jamais, ils trouvent le film un peu bizarre, mais le suspense marche toujours jusqu'à la fin.

Duel (1971) de Steven Spielberg

Je trouve le film toujours parfaitement maîtrisé, truffé d'idées inventives, surtout la scène du bar où tout devient suspicieux, la présence de l'ennemi étant omniprésente. Finalement c'est l'histoire d'un homme ordinaire, confronté au dépassement de lui-même pour sauver sa peau. Adapté au départ d'une nouvelle du grand Richard Matheson, Duel séduit toujours par son sujet, et me rend surtout très admiratif de par son économie de moyens. Très complexe à tourner (la multiplicité des angles de prises de vues et des raccords) l'oeuvre reste un grand classique, un must aux allures hitchcockiennes que tous les étudiants de cinéma du monde entier peuvent à loisirs disséquer pour en saisir le moindre rouage. La musique aux accents de Psychose renforce encore l'atmosphère tendue, et chaque élément s'imbrique parfaitement l’un dans l’autre.

Duel (1971) de Steven Spielberg

Les enfants comprennent rapidement qu'ils ont affaire à un fou dangereux, ce qui les effraie toujours autant. Le seul témoin de l'agression est la femme qui élève des serpents dans le désert, sinon tous les autres personnages pensent que c'est le chauffeur de la voiture qui est fou. Dans la version longue il y a cette très belle séquence où les enfants du car en panne, grimaçants derrière la vitre, semblent eux aussi se jouer du héros malmené. Lorsque c'est le camion qui vient finalement à leur rescousse, jouant pour un instant le rôle du héros positif, tout se renverse, et le chauffeur de la voiture sait à présent qu'il devra combattre tout seul contre son ennemi. Quand il verrouille sa ceinture de sécurité et qu'il s'adresse au chauffeur du camion en disant "Tu veux vraiment jouer ? Alors d'accord, maintenant on va jouer pour de bon..", le héros victime se transforme en un survivant du coûte que coûte, et la violence de l'autre à son égard décuple ses capacités. 


Duel (1971) de Steven Spielberg

La fin, très belle elle aussi, nous le montre seul sur la colline au coucher du soleil devant la carcasse du camion, encore en état de choc longtemps encore après que le duel se soit achevé. Pas d'autre bruit que le vent du désert qui vient tout balayer. Les enfants regrettent un peu l'absence de musique à ce moment-là, mais le film leur laisse un goût étrange, celui d'un film pas comme les autres.

À une heure où au cinéma tout se comprend dès la première minute, voire dès la bande annonce, Duel, qui est au départ un téléfilm, illustre parfaitement cette réflexion de son réalisateur lui-même, disant récemment lors d'une de ses interventions à U.C.L.A, l'école de cinéma de Los Angeles : "La meilleure façon de se rendre compte si l'histoire d'un film est claire, c'est de pouvoir l'imaginer sans les dialogues".

Duel (1971) de Steven Spielberg

Duel (DVD Edition Collector)
Durée : 90 min
Distributeur : Universal Studios
Sortie :  2004-08-17
Avec : Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Lucille Benson
Réalisé par Steven Spielberg
Produit par George Eckstein
Écrit par Richard Matheson