lundi 27 mai 2019

Bilan Festival de Cannes 2019

Fin d'un Festival extraordinaire: qualité des films, de l'organisation, des rencontres. Cannes est assurément le plus grand festival de films du monde. Où l'on y rencontre des Portugais, des Chinois, des Brésiliens, des Allemands, des Américains, des Égyptiens, des Russes, des Islandais pour ne pas dire tous les profils de la planète. Où l'on parle de cinéma jour et nuit et où chacun découvre le travail de l'autre, du film le plus inconnu de la Terre au plus célèbre. Le nombre de films vus et de personnes abordées en quinze jours est hallucinant, d'un grand patron de firme à un apprenti cinéaste. Cannes c'est aussi le rapprochement entre des professionnels qui ne trouvent jamais le temps de se rencontrer tout au long de l'année et c'est également un gigantesque stage de production où l'on apprend tout sur tout de la manière dont on monte un projet. Une expérience unique, inclassable et où le travail se joint à la détente. Ici c'est la passion pour les films qui règne. On repart inspiré et empli d'une énergie nouvelle pour se remettre à l'ouvrage.

Avec toute l'équipe du film Duke de Thiago Dadalt

dimanche 26 mai 2019

Sélection Cannes Classics 2019 : "Les silences de Johnny" de Pierre-William Glenn

Une facette méconnue du chanteur sur son rapport au cinéma et une sorte de mise à nu de l'acteur. On n'est plus dans le faste du parc des Princes mais dans l'intimité de la caméra et du tournage. Dans ce documentaire Robert Hossein, Patrice Leconte, Laetitia Masson, Jean-Francois Stévenin, Claude Lelouch, Dominique Besnehard apportent un autre regard et témoignent de la présence du chanteur à l'écran. Autre visage, autre personnalité, d'une docilité incroyable sur un plateau et qui aimait profondément les films pour avoir passé sa vie à en regarder. Un document touchant par un réalisateur et chef opérateur ami qui a su montrer un Johnny entre ombre et lumière, ici plus bluesman que rocker, et qu'on pourrait dépeindre en deux mots: authenticité et sincérité.

Johnny Hallyday dans Détective (1985) de Jean-Luc Godard

Sélection Officielle Cannes 2019 : Il traditore (Le traître) de Marco Bellocchio

Un récit dense et passionnant de 2h20 qui nous plonge dans les guerres de clans entre familles siciliennes au coeur de Cosa Nostra. À travers le personnage emblématique de Tommaso Bruscetta qui permit l'arrestation de plus d'une centaine de membres de la mafia après ses révélations au juge Falcone dans les années 80, c'est tout un pan de l'Histoire italienne contemporaine qui est relatée ici dans la tradition des films de Francesco Rosi. Depuis la capture de Bruscetta au Brésil en 1963, Bellocchio s'est intéressé à la personnalité particulièrement complexe d'un repenti considéré comme l'un des premiers à avoir brisé l'omerta. L'acteur Pier Francesco Favino est extraordinaire. Doté d'une ressemblance étonnante avec le vrai Bruscetta, Favino porte le film sur ses épaules et réussit à retranscrire tout l'aspect énigmatique d'un personnage hors normes, faisant voler en éclats les archétypes de mafiosi représentés à l'écran. Doté de solides convictions dans ses valeurs, Bruscetta incarne la transition entre un monde ancien où les codes d'honneur étaient en vigueur et l'ère moderne où, débarrassée de ses traditions, les nouvelles générations de la mafia sont devenues encore plus violentes en multipliant les meurtres de femmes et d'enfants au sein des clans. En désaccord avec ces méthodes Bruscetta rompit brutalement le cercle. En toute conscience et au péril de sa vie il se rangea du côté de l'Etat et contribua à démanteler tout l'organigramme des chefs de la mafia devant les autorités lors d'un procès retentissant qui conduisit à l'emprisonnement à vie de Totò Riina. C'est la fin d'une ère que Bellocchio dépeint et qui aura pour conséquence l'assassinat en représailles du juge Falcone ainsi que le départ sous protection de Bruscetta vers les Etats-Unis jusqu'à la fin de sa vie en 2000. Le film met à jour une documentation sidérante sur le dispositif pyramidal de la mafia sicilienne, chacun de ses membres ayant une fonction digne d'une organisation gouvernementale. Il faut louer le travail de Bellocchio et de ses scénaristes qui entremêlent thriller et film historique dans la lignée des grands films italiens des années 70.

Pier Francesco Favino Le traître de Marco Bellocchio (2018)

jeudi 23 mai 2019

Festival de Cannes 2019 - Short Film Corner : "Duke" de Thiago Dadalt

Très beau court-métrage sur le cas de Duke, adolescent autiste dont on sait que les origines de la maladie et ses traitements sont encore totalement inconnus. Ce trouble de la perception touche environ 75 millions de personnes dans le monde. On sait seulement que le fléau, d'origine neurologique, provoque un grave dérèglement de la communication avec autrui. 
Duke le film aborde un épisode de l'adolescence durant laquelle le jeune homme passe par une période d'éveil. Il ressent sans pouvoir l'exprimer l'envie d'un ailleurs et parvient à écrire un premier mot. On pense à l'histoire d'Helen Keller et à son cri déchirant « eau », un jour que la fillette boit à une fontaine. 
Ce court-métrage dont la célèbre citation de St Exupéry en ouverture est « L'essentiel est invisible pour les yeux' » nous touche car ses auteurs traduisent parfaitement en images et sons l'expression d'une altération psychique désarmante pour les parents et toujours sans suivi médical et éducatif adéquat. Le jeune Robert Solomon qui joue Duke a observé durant de longs mois des autistes et ce qu'il accomplit à l'écran est remarquable. Souhaitons que Duke devienne un long-métrage afin d'élargir ses espaces de diffusion car le cinéma a aussi vocation de lancer des cris d'alarme.


DUKE
U.S.A - 2018
Production : D. Ellen Miller Productions
Réalisateur : Thiago Dadalt
Scénario : Thiago Dadalt, Dru Miller
Avec : Robert Solomon, Piercey Dalton, Jeff Marcheletta, Rack Kozlow
Directeur photo : Andre Chesini
Couleurs - 16 minutes
© 2018 







mercredi 22 mai 2019

Séléction Officielle Cannes 2019 : "Once upon a time... in Hollywood" de Quentin Tarantino

Un film sur les acteurs, sorte de western barré, plus spaghetti que hamburger, durant la période la plus déjantée de la deuxième moitié du XXe siècle: les années 60. Forme d'hommage aussi à nombre de figures célèbres qu'on retrouvera dans le film, humour bien sûr omniprésent (la séquence avec Bruce Lee vaut son pesant d'or) et bande originale de choix dans ce cinémascope flamboyant en 35 mm. Pur plaisir de cinéma, flashback sur les jeunes années de cinéphile de Quentin Tarantino. Brad Pitt est génial et il faut bien dire que son réalisateur aime tellement le cinéma qu'il nous offre un feu d'artifice de sa passion intacte et sans limites pour le septième art. Je ne dévoilerai rien d'autre conformément à son voeu mais la surprise est de taille et accrédite plus que jamais la fameuse formule de François Truffaut: « Les films sont plus harmonieux que la vie ».


dimanche 19 mai 2019

Sélection Officielle Cannes 2019 : "Douleur et gloire" de Pedro Almodovar

Voir un film d’Almodovar aujourd’hui équivaut à regarder un film de Losey, de Mankiewicz ou de Bergman. La marque d’une très grande maîtrise du cinéma apparaît dans chaque plan et chaque séquence, construite à partir d’un matériau dramaturgique dense et complexe. L’articulation du récit proposé ici, entre passé et présent, donne à reconstituer l’itinéraire d’un homme, Salvador Mallo qui est aussi un artiste, un auteur et un metteur en scène. Inutile de dire que Pedro Almodovar opère sa propre radiographie par le filtre de son acteur fétiche Antonio Banderas. Il n’est pas le premier à s’être livré à l’exercice si l’on pense à  8 ½ de Fellini ou à Stardust memories de Woody Allen. Comment naît le désir d’un créateur, quels sont les mécanismes qui vont l’inciter à produire une nouvelle œuvre, à partir de quelle confusion ? 
Ce désir est au cœur même de  Dolor y Gloria. Désir par lequel tout commence, clé majeure de l’orientation de notre regard, de nos sens et par lesquels nous accomplissons le scénario de notre vie. C’est dans la quête du désir originel (à la fois charnel et créatif pour l’artiste) qu’est construit le film dont la trame pourrait s’apparenter à celle d’une intrigue policière. Salvador Mallo, en manque d’inspiration et qui trouve refuge dans les psychotropes, a connu son heure de gloire en réalisant des films montrés partout à travers le monde. Il ne produit désormais plus rien, se laissant aller à la paresse, aux drogues, au néant. Des flashes de son enfance lui reviennent en mémoire et il va tenter de refaire le chemin sans savoir que se trouve niché quelque part la clé qui lui permettra de retrouver son inspiration. 
A quel moment s’est produite la naissance du premier désir, quel en a été l’objet, qui et comment en retrouver la trace ? Le premier plan du film illustre parfaitement ce à quoi nous allons assister et qui ne manque pas d’humour : Mallo, en état de flottement dans une piscine (au sens propre comme au figuré) se prépare à sa propre immersion. Puis premier flashback et retour aux sources, à l’enfance et à la figure de la mère, incarnée par Penelope Cruz. Toute la suite sera un aller et retour entre hier et aujourd’hui, comme un ballottement entre désir de comprendre et désir de retrouver ce qui a été perdu, au travers d'images qui vont prendre une part capitale s’agissant ici du personnage d’un cinéaste.
Revenant sur les traces de l’enfance c’est aussi de mélancolie dont le film est empreint, comme dans ces autobiographies qu’on livre à l’automne de la vie lorsque nous acceptons de porter un regard tendre sur nos jeunes années, délivrés de passions destructrices et ayant fait la paix avec nous-mêmes, avec nos démons, nos égarements. Antonio Banderas est exceptionnel et d’une déchirante humanité (je parierai bien sur une Palme d’Interprétation) comme tous les autres acteurs, excellents, Asier Etxeanda et Leonardo Sbaraglia en tête. Un Almodovar lumineux au goût des Fraises sauvages d’Ingmar Bergman.


samedi 18 mai 2019

Sélection Officielle Cannes 2019 : "Sorry we missed you" de Ken Loach

Ken Loach est sans conteste l’un des plus grands cinéastes du monde. On peut désapprouver ses opinions politiques, la justesse des faits qu’il décrit dans Sorry we missed you  et son regard sur le capitalisme à outrance n’en sont pas moins chargés d’une analyse pertinente concernant les effets destructeurs de tout un système sur les classes modestes. Le constat ici est même plus alarmant encore que dans les précédents films. Prenant pour exemple une famille de Newcastle réduite à l’état d’esclave par l’économie de marché, Loach dans la première partie du film, analyse d’abord les raisons du mal être social : pénibilité du travail, despotisme de l’employeur soumis lui-même au rendement, incitation à s’endetter dans l’espoir d’un meilleur lendemain, pénalisations financières et autres offensives d’un système qui finit par écraser la cellule familiale déjà en état de précarité. La mère accumule les tâches tout en étant limitée par l’absence d’un moyen de transport dont elle ne peut bénéficier, le père croule sous les heures de travail à force des pressions d’un patron soumis aux diktats d’Amazon et leur fils, adolescent en révolte peu doué pour les études, se résout à lutter contre un modèle sociétal qu’il perçoit comme sans avenir. Seule la fillette du couple s’accroche comme éperdue à des restes d’enfance, tentant de rassembler les derniers liens d’une famille au bord de l’implosion.
La force des scènes décrites par Loach et son scénariste Paul Laverty atteint de plein fouet le spectateur le plus aguerri. Si la crise économique des années 1930 aux Etats-Unis avait donné pour film emblématique Les raisins de la colère  de John Ford, ils se pourrait bien que Sorry we missed you incarne à lui seul le ravage occasionné à la fois par le projet néolibéral de l’Union européenne et par celui, non moins dangereux du Brexit dans les milieux ouvriers de l’Angleterre des années 2010.
C’est d’abord l’empathie qui domine les personnages de premier plan chez Ken Loach. Conscients de leurs limites et de leurs excès, la violence n’est jamais une fin en soi. Forts en actions et en initiatives, soudés par des valeurs familiales puissantes, c’est la raison qui prime avant tout. Plutôt que de se livrer au chaos on multiplie les tentatives de rapprochement, de dialogue, de communication et l’injustice démontrée n’en est que plus percutante, prenant véritable valeur de dénonciation. 
C’est pour cela que le film touche, observant au plus près et avec une rare authenticité les agissements des uns et des autres au cœur du tissu social. Qui plus est il nous laisse le libre arbitre. Chacun reconnaîtra dans un final pour le moins bouleversant le choix qui lui est propre de vivre ou de mourir lorsqu’on a tout tenté et que la responsabilité individuelle se présente à nous.


vendredi 17 mai 2019

Séances Spéciales Cannes 2019 : Être vivant et le savoir d'Alain Cavalier

 Un film comme un collage, un film de famille, un film de souvenirs. Un homme et une caméra, l'un et l'autre faisant corps pour un grand film « d'amateur » dans ce qu'il y a de plus pur et qui nous rappelle les paroles de Jean Cocteau filmant en 16 mm la Villa Santo Sospir : « Étant un professionnel j'ai voulu faire un film d'amateur sans m'encombrer d'aucune règle ». Alain Cavalier qui lui aussi est un poète nous ouvre des fragments de son journal à une date précise de sa vie : celle où il doit tourner un film avec sa meilleure amie la romancière Emmanuelle Bernheim (disparue en 2017 et qui fut notamment scénariste de François Ozon) tournage qui s'interrompt lorsque celle-ci apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du sein. 
Regarder Être vivant et le savoir c'est entrer dans l'intimité d'un homme qui écrit et filme des morceaux de vie, entre deux portes, deux pages, deux objets. Avec une tendresse inouïe l'auteur de Thérèse va accompagner son amie durant le traitement de sa maladie jusqu'au départ d'Emmanuelle, décidé par elle-même. Le film est bouleversant parce que l'empathie du cinéaste accompagne chaque plan du film, fait de murmures, de vie végétale, de présences d'oiseaux, de chats, habitants les lieux intimes et mystérieux filmés par Alain Cavalier lui-même. La beauté du film émane de sa délicatesse, de sa simplicité, de son épure. La petite caméra qui est un véritable personnage accompagne avec douceur l'oeil du cinéaste qui aime filmer les mots, les photos, les fruits, les natures mortes. Dans son « atelier de peinture », si j'ose dire, l'oeil observe avec une acuité remarquable les petites choses de la vie, si familières et si aimées qu'elles en deviennent immenses.
Voir Rester vivant et le savoir c'est partager ces moments faits de silences où la notion du temps retrouve son essence et où durant 80 mn de projection nous sommes touchés par la grâce. Ce magnifique poème d'amour pour la vie et peut-être son ailleurs nous a au Festival de Cannes traversés.