Octobre sombre, après Patrice
Chéreau, Daniel Duval est parti. On connaissait Daniel Duval comme acteur, mais
d’aucuns oublient qu’il s’illustra lui aussi comme l’un de nos meilleurs
réalisateurs. Son parcours de cinéaste, chaotique, ressemble à un long chemin brumeux qui
l’empêcha, outre La dérobade en 1979,
de rencontrer le succès qu’il méritait dans les salles obscures. Depuis
plusieurs décennies je défends son cinéma, rejeté par la critique, et
qui semble ne pas avoir échappé à l’étiquette de cinéaste maudit. On encensa
Pialat, mais on oublia dans le même temps Daniel Duval. Depuis Le voyage d’Amélie, en 1974, en passant
par L’ombre des châteaux, en 1976,
jusqu’au Temps des porte-plumes, en
2006, et qui passa totalement inaperçu, il faudra un jour poser la question au
grand jour « Qui défend quoi ? » et « Que défend-t-on ? » pour que la critique
ait à ce point fait la fine bouche devant l’un de nos cinéastes les plus
incisifs. A une époque où il est de bon ton de baigner dans le film social, on
balaie d’un revers de la main l’un de ceux qui a montré avec le plus
d’authenticité et d’intelligence la vie des laisser pour compte aux cinéma,
ceux que la société écrase ou élimine. Il faut revoir les films de Daniel Duval
pour se rendre compte à quel point il a été ignoré.
Je me souviens, au bar du Faitout à
Ménilmontant, il aimait s’installer au comptoir, solitaire et discret. Quand
nos conversations venaient sur ses films, je n’hésitais pas à lui parler du Voyage d’Amélie dont il me disait que j’étais
l’un des rares à l’avoir vu. Je me révoltais, en voulais à la terre entière, lui
disais mon admiration pour L’ombre des
châteaux. Il m’écoutait, silencieux, jamais amer, toujours en devenir d’un
prochain film. Il était fier d’avoir joué dans Beau rivage, l’un de ses derniers comme acteur, et j’avais toujours
plaisir à le retrouver. Il n’était pas sollicité comme une vedette, personne ne
se précipitait pour lui parler, mais pour moi Daniel Duval a beaucoup compté
dans un paysage cinématographique qui ressemble trop souvent à Icare prêt à se
brûler les ailes à la lumière des projecteurs.
Filmographie de Daniel Duval en tant
que réalisateur :
Le voyage
d’Amélie
(1974)
Avec Louise Chevalier,
Daniel Duval, Stéphane Bouy et Myriam Boyer.
Contre une somme modique,
cinq voyous de banlieue se voient proposer de convoyer en camionnette un
cadavre vers un lointain village. Le voyage ne se déroule pas sans péripéties.
Avant ce premier
long-métrage, Daniel Duval avait réalisé un court-métrage Le Mariage de Clovis (1969) inspiré de son meilleur
ami, Clovis, ferrailleur en banlieue. Sélectionné à la Quinzaine des
réalisateurs à Cannes en 1969, le film, serti de prix, fut distribué en salles
conjointement à Théorème de Pasolini, autre astre noir. Le voyage
d’Amélie nous plonge dans l’univers de la vie rurale en France dans les
années 70. Le film, tourné en 16 mm avec très peu de moyens, surprend de
par son authenticité et surtout par l’épaisseur des personnages, sortes de
marginaux errants tels des fantômes. Duval s’y révèle un auteur complet, doté
d’une grande sensibilité, et l’un des rares avec Maurice Pialat à aborder la
vie sociale des déshérités de manière aussi brute et écorchée.
L’ombre des
châteaux
(1976)
Avec : Philippe
Léotard, Zoé Chauveau, Albert Dray.
Années 1970, banlieue parisienne. Dans le décor heurté d’une
carrière où la nature a repris ses droits, entre excavations et monticules, ont
fleuri de misérables bidonvilles. Les Capello, famille d’immigrés italiens,
vivent dans une bicoque faite de bric et de broc. Le père et la mère ne
dégoisent pas un mot, absorbés dans des tâches abrutissantes. La fille s’est
faite pincer à faucher dans les cimetières et envoyer dans un institut de
redressement. Les deux fils, ses frères aînés, vont remuer ciel et terre pour
libérer leur petite soeur, et fuir avec elle les structures coercitives de
cette France giscardienne.
Ce film fut pour moi un choc à sa sortie. Les interprètes,
de tout premier ordre, hantent ce film admirable qui sait dépeindre à la fois
les sentiments et la vie en sursis de ces êtres condamnés à plus ou moins
courte échéance, sans pour autant céder au misérabilisme. L’ombre des
chateaux est doté d’éclairs lyriques qui l’apparentent parfois aux plus
belles heures du cinéma italien. La lumière, l’utilisation habile des couleurs,
l’utilisation de la caméra, apportent au film une réelle dimension émotionnelle
qui confirme l’immense talent de Daniel Duval cinéaste.
La dérobade (1979)
Avec Miou-Miou, Maria Schneider, Daniel Duval.
Marie est une jeune femme issue d'une famille d'ouvriers qui
tombe amoureuse d’un homme dont elle découvre qu'il est un dangereux et sadique
proxénète. Régulièrement battue et violée, Marie tente de s'enfuir pour
retrouver le contrôle de son corps et de son esprit.
Adaptée du roman autobiographique de Jeanne Cordelier, cette
descente aux enfers dans les milieux de la prostitution, est probablement l’un
des témoignages les plus forts sur le sujet jamais traité au cinéma. Doté d’une
portée documentaire passionnante, le
film doit non seulement à sa mise en scène, incisive, mais aussi à Miou-Miou
qui excelle dans son rôle de femme victime de sa condition, et qu’elle rejette
avec force pour atteindre les voies de l’émancipation. Miou-Miou fut
récompensée pour ce film par le César de la Meilleure actrice en 1980.
Maria Schneider et Miou-Miou dans La dérobade (1979)
L’amour trop fort (1981)
Avec :
Marie-Christine Barrault, Jean Carmet, Daniel Duval.
Une solide amitié liait Max, vieil acteur raté, à Charlie,
jeune metteur en scène ambitieux, jusqu'au jour où ce dernier rencontre le grand
amour en la personne de Rose-Marie, une jeune antiquaire . Abandonné par sa
femme, Max se raccroche au nouveau couple mais sa présence devient trop pesante
et Rose-Marie menace de rompre si Charlie ne choisit pas.
Méconnu, ce film aborde la question de l’impossibilité
d’aimer chez deux êtres de conditions sociales trop différentes. Pour la
première fois Daniel Duval utilise le registre de la comédie. Il y réussit
pleinement, l’œuvre étant doté d’un ton alerte, vif, tout empreint de finesse,
ce qui fait souvent défaut au genre, et les interprètes (Jean Carmet en tête)
sont tous excellents, comme à l’accoutumée chez Duval.
dans L'amour trop fort (1981)
Effraction (1983)
Avec : Marlène Jobert, Jacques Villeret, Bruno Cremer.
Lors d'un hold-up qui tourne mal, Valentin tue plusieurs
personnes. Il s'enfuit avec le butin et, pourchassé par la police, il rencontre
un couple dont la femme l'attire irrémédiablement.
Un bon polar au casting
solide avec un Jacques Villeret dans un rôle inattendu, librement adapté de Francis Ryck, et qu’il faudrait revoir. Duval, après
quelques téléfilms comme réalisateur (Un
chien enragé, 1984, Lorfou, 1986,
Les lendemains qui tuent, 1990, et Mais qui arrêtera la pluie ? ,
1990, ne signa plus ensuite qu’un long-métrage Le temps des porte-plumes en 2006.
Marlène Jobert et Jacques Villeret dans Effraction (1983)
Le temps des porte-plumes (2006)
Avec : Lorant
Deutsch, Jean-Paul Rouve, Anne Brochet, Denis Podalydès et Annie Girardot.
Après 22 ans de silence,
Daniel Duval revient au cinéma avec ce film autobiographique. Cette chronique raconte la lente reconstruction d’un enfant
rebelle et en manque d’amour dans une famille d’accueil à la campagne pendant
les années 60, avec ses blessures et sa solitude intérieure suite à la
séparation avec sa famille d’origine. La reconstitution de cette époque est
sobre, sans jamais céder au sentimentalisme. Duval prend son temps, promène
avec émotion son regard sur cette famille aimante, ces ambiances rigides
d’école primaire, de vie austère à la ferme, et la force du film repose sur la
notion de temps à l’intérieur duquel le réalisateur puise ses souvenirs pour
parvenir à une œuvre aboutie et maîtrisée de bout en bout.
Annie Girardot dans Le temps des porte-plumes (2006)
J'ai aimé, Marlène, dans LE PASSAGER, j'ai adoré, Annie, dans MOURRIR D'AIMER! Maintenant, je pleure mon fils, ALEXANDRE, depuis le 11 juillet 2013! Il me reste les mots et les lettres. J.J.G. de Oliveira dojojo9@hotmail.fr
RépondreSupprimervotre article ressemble étrangement à celui-ci écrit un an avant : plagiat ou hommage ?
RépondreSupprimerhttp://www.revuezinzolin.com/2012/09/s01e06-lombre-des-chateaux-daniel-duval-1976/
Des extraits de textes proviennent effectivement de la revue ZINZOLIN, que j'aurais dû citer, et qui est pour moi une référence en matière de cinéma indépendant. Bravo pour votre oeil ! Bien à vous, B.F.B
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