D'abord, on l'a peu dit, Bertrand Tavernier fut l'un des rares cinéastes français contemporains à œuvrer dans des genres très différents : film historique, film policier (Dans la brume électrique), film d'anticipation (La mort en direct), comédie (Quai d'Orsay), film de guerre (Capitaine Conan), drame psychologique (Daddy nostalgie), film social (Ça commence aujourd'hui)... Et si l'on prend le seul genre du film historique, les périodes couvrent le Moyen-âge, (La passion Béatrice), le XVIe siècle (La princesse de Montpensier), le XVIIe siècle (La fille de d'Artagnan), la Régence, (Que la fête commence), le XIXe siècle, (Le juge et l'assassin), la guerre de 14-18, (Capitaine Conan, La vie et rien d'autre), le XXe siècle et ses années 1930 (Coup de torchon), l'Occupation (Laissez-passer), les années 1950 (Autour de minuit) et la guerre d'Algérie (revoir le documentaire La guerre sans nom). De plus, si l'on regarde bien ses films, les traitements cinématographiques sont également extrêmement différents. D'une écriture classique comme celle d'Un dimanche à la campagne, il peut passer à une écriture totalement éclatée comme dans La mort en direct et Coup de torchon, films faits de ruptures de tons et d'une mise en scène heurtée qui tranchent avec le style très retenu de La vie et rien d'autre.
Cette constatation étant faite, l'exploit de Coup de torchon réside dans cette idée géniale d'avoir transposé le Texas du roman de Jim Thompson 1275 âmes dans l'Afrique Occidentale Française des années 1930. Tout ce qui faisait la noirceur, le cynisme, la désespérance et la violence de par l'écriture au vitriol du roman américain, se retrouve en un équivalent aussi monstrueux dans le film français qui n'épargne rien de la période montrée.
Film hénaurme, gonflé, surréaliste, Coup de torchon n'y va jamais par quatre chemins. Il ose tout et réussit même l'exploit de nous faire rire de la bêtise, de la veulerie et de la méchanceté de l'âme humaine. Coup de chapeau aux acteurs d'y avoir été à fond, Philippe Noiret (particulièrement excellent), Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Eddy Mitchell en tête, qu'on n'a jamais vu aussi dingues. Film inclassable, impossible aujourd'hui, c'est en particulier la grande connaissance du cinéma et notamment américain de l'âge d'or qui a permis à Tavernier de réussir son coup et de contourner tous les pièges. Il parvient à faire de son film une œuvre romanesque jamais complaisante et dont la réalisation particulièrement savante prend parfois des accents hustoniens tout en restant profondément française de par les caractères des personnages et ses truculents dialogues. Qu'on aime ou qu'on déteste, Coup de torchon reste unique, intemporel dans le cinéma français, et n'a vieilli en rien.
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