Comme beaucoup je me pose un certain nombre de questions sur le cinéma à l'heure actuelle. Non pas que la pandémie de la Covid interfère particulièrement sur ma passion pour le 7ème art mais plutôt sur sa représentation, sa manière de le percevoir depuis qu'il a déserté les salles à cause de la crise sanitaire. Jean-Pierre Melville avait curieusement prévu la mort du cinéma en 2020 au profit de la télévision. Fallait-il y voir un parallèle avec la sombre prédiction de Louis Lumière « Le cinéma est une invention sans avenir » ? Les spectateurs auront-ils véritablement changé leurs habitudes depuis que le streaming et Netflix sont apparus dans leurs salons ? Nul ne sait mais je crois qu'il va falloir néanmoins réinventer totalement le langage du cinéma et le débarrasser des chaînes qui le relie encore trop au petit écran de par sa façon de raconter des histoires. Il me semble que la route est encore ouverte pour d'autres manières de voir et d'entendre, pour d'autres perceptions à l'intérieur du langage lui-même. L'industrie s'accommode mal de l'art on le sait mais peut-être est-ce justement là que nous autres cinéastes devons réfléchir et agir. Qu'est-ce que l'identité propre d'un film ? Qu'est-ce que sa vocation, son utilité, son pouvoir d'agir sur nous ? Les histoires doivent-elles indéfiniment être racontées selon les mêmes schémas ? Ou faut-il envisager une toute autre approche comme celle de la musique ou de la peinture ? Le spectateur d'aujourd'hui est-il prêt à regarder et écouter un film comme il perçoit les mouvements uniques de sa propre vie ? Autant de questionnements me traversent l'esprit pour repartir à la découverte du cinéma dont « la première moitié du XXème siècle n'a exploré que des miettes » disait S. M. Eisenstein en 1945. L'État et les institutions ne peuvent pas tout. Les cinéastes doivent aussi s'engager sur le terrain pour que le spectateur continue d'éprouver le désir de voir des films dans les salles. Réinventer le langage, offrir un autre monde avec les films proposés dans les salles obscures me semble être l'objectif pour tout cinéaste à l'aube de 2021. Réenvisager les conceptions du récit, traduire en terme de cinéma pur, quels qu'en soient les moyens, la part d'ombre qui le destine au grand écran m'apparaît aujourd'hui plus que jamais la véritable vocation du 7ème art. Vive le cinéma, cinéastes au travail !
lundi 21 décembre 2020
Cinéastes, au travail !
mardi 1 décembre 2020
"Maquillage" (2020) vidéo-clip de Ségolène Point
En cette période tourmentée j’ai tourné ce clip pour rompre avec la morosité ambiante. Tourné à Damgan en Bretagne avec mon actrice fétiche Ségolène Point, ce film amorce les prémisses d’une future comédie musicale sur laquelle je planche. Joyeux automne à tous !
MAQUILLAGE
HD – Couleur – 3 minutes
Chant : Ségolène Point
Réalisation : Bruno François-Boucher
Images : Christian Baudu
Paroles : Colette Servières
Musique Patrick de Falvard
Chœurs et percussions : PdF (Guiro-Shaker-Congas)
Piano : Mauna
Guitare acoustique, rythme : PdF
Guitare nylon lead : Claude B.
Arrangements et mixage : « PdF, home-studio »
(Juillet-Aout-Septembre 2020)
Son : François Le Roux
Merci à Jacques Pasut
© 2020 Bon Voyage Films
dimanche 8 novembre 2020
Revoir "Fortunat" (1960) d'Alex Joffé
Pour avoir revu Fortunat (1960) d’Alex Joffé, force est de constater que ce beau film montre une nouvelle fois l’extraordinaire capacité d’André Bourvil à exprimer une large palette d’émotions et où son degré de gravité atteint ici son point d’orgue. Passant du simplet alcoolique au stade de l’homme mur transfiguré par son amour pour le personnage de Michèle Morgan, c’est peut-être dans la dernière partie du film, lorsqu’il découvre que cet amour ne pourra être partagé, que Bourvil fait éclore sa sensibilité la plus exacerbée. Son visage soudain plongé dans l’obscurité dessine la marque profonde d’une solitude qu’on ne lui connaissait pas. Mieux encore, il réussit à nous toucher au plus profond dans l’acceptation de ce désespoir, l’acteur ne pouvant se résigner au moindre défaut de sincérité qui nous aurait fait entrevoir un happy end des plus convenus.
L’argument du film, adapté du roman Fortunat ou le père adopté de Michel Breitman, expose une famille de résistants réfugiée à Toulouse sous l’Occupation ayant pour voisins une famille de juifs reclus dans la clandestinité. De l’amour entre les uns et les autres vont se tisser les fils d’un bonheur éphémère, obscurci et anéanti par les heures sombres du nazisme.
Michèle Morgan, qu’on a trop souvent considéré comme une beauté froide et distante, se délie ici sous la caméra d’Alex Joffé pour faire apparaître, notamment dans la scène de danse, une sensualité échevelée tout à fait bouleversante. Film à revoir sans modération, Fortunat, s’il n’est pas un modèle d’écriture cinématographique, n’en est pas pour le moins un splendide mélodrame qui doit tout aux acteurs et où la vie qui tente de battre malgré tout fait figure d’acte de résistance face aux blessures mortifères de la France occupée.
Le journal de Fahrenheit 451 (1966) par François Truffaut
Dans la lignée de son livre sur Hitchcock et du film La nuit américaine, Le journal de Fahrenheit 451, écrit en 1966 par François Truffaut, est une bible précieuse pour tout cinéaste, cinéphile ou amateur de cinéma. On y apprend quasiment tout de la fabrication d’un film durant sa course contre la montre pour le terminer, de la relation aux acteurs, à la technique en passant par les mille et une choses qui amènent un metteur en scène à s’adapter en permanence. Que ce soit sous la pluie ou sous la neige avec d’incessantes contraintes de tous bords, le seul objectif est d’enchaîner le plus rapidement possible les plans du film à tourner. Dans ce train du tournage lancé à grande vitesse, le cinéaste vieillit de deux ans en quelques mois. C’est ainsi que le réalisateur de Fahrenheit 451 résume son expérience éprouvante et quelque peu décevante de cet « étrange film » (sic) tourné aux studios de Pinewood pour Universal. Si les techniques de tournage ont évolué depuis, ce document n’en reste pas moins un outil précieux à l’usage des nouvelles générations. Il nous en dit davantage que n’importe quel making of.
mardi 22 septembre 2020
Isabelle Huppert, message personnel (2020) Documentaire de William Karel sur Arte
Ultra-reconnue mais finalement méconnue, certains l’aiment, d’autres pas. Sa personnalité est faite de ce mystère intérieur qui provoque autant le questionnement que toutes sortes de sentiments contradictoires. Exigeante, Isabelle Huppert prend des risques avec des rôles souvent dérangeants, d’une violence sourde, bousculant l’ordre établi. Elle s’arrête dans ce documentaire sur ses moments clés, commentant elle-même les images. Un choix judicieux d’entretiens et d’extraits de films ponctue sa démarche. Avec ce film-bilan l'actrice nous plonge dans ses secrets d’interprétation. Je crois qu’on n’a pas toujours bien compris Isabelle Huppert parce qu’elle propose une vision peu commune des femmes. N’obéissant pas à ces critères, elle s’explique sur ses choix et sa démarche créatrice. Selon ses propres mots elle exprime « des états ». Elle ne joue pas des personnages « mais des personnes. Un personnage c’est limité, une personne c’est bien plus vaste ». L'actrice s’attarde plus particulièrement sur Claude Goretta, Claude Chabrol, Maurice Pialat, Michael Cimino, Jean-Luc Godard, Benoît Jacquot, Werner Schroeter, Laurence Feirrera Barbosa et Michael Haneke, cinéastes qui lui ont permis d’élargir le champ des possibles.
mercredi 9 septembre 2020
Un soupçon d'amour (2020) de Paul Vecchiali
Un soupçon d’amour est un délicieux moment de cinéma, le grand et beau film d’un jeune cinéaste de bientôt 90 printemps. Une histoire dense et émouvante, un film où chaque image, ciselée, prend son sens dans une forme qui nous est peu offerte de nos jours. Dédié à Douglas Sirk, le film exprime et développe en profondeur le monde complexe des sentiments dans une passionnante plongée au cœur de l’âme humaine, de ses beautés et de ses méandres. Toute une vie défile sous nos yeux à travers un habile enchevêtrement de situations où le passé refait surface dans un présent toujours reconsidéré. C’est de véritable compassion et de compréhension pour les êtres dont Vecchiali nous parle. Film rempli de tiroirs secrets, le drame qui s’y joue sous sa plus pure forme romanesque nous fait revenir aux grandes heures du cinéma français, grâce en premier lieu à la magie des acteurs : merveilleuses Marianne Bassler et Fabienne Babe sans oublier Jean-Philippe Puymartin. Le temps s’enfuit dans une Provence lumineuse où les jardins ressemblent à des tableaux de Jean-Charles-Joseph Rémond et les intérieurs à des clairs-obscurs, dans une valse qui tourne entre incertitudes, déchirements et éclats de bonheur. Le plus incroyable est que le film ait été tourné en 9 jours et qu’on a l’impression d’un temps de tournage étendu sur plusieurs semaines. À l’heure où l’on se demande que sont devenus les grands cinéastes français, Paul Vecchiali nous réveille de notre léthargie pour nous offrir l’une des plus belles surprises de ces dernières années. Maîtrisé d’un bout à l’autre, doté d’une magnifique photographie de Philippe Bottiglione (il est incompréhensible que le cinéma ne fasse pas plus souvent appel à lui) il serait également injuste de ne pas mentionner la belle bande originale de Roland Vincent, musicien rare qui a su apporter une deuxième écriture au film. Composée avant le tournage, la musique inspire le cinéaste dans sa mise en scène et c’est le film entier qui vient à nous, nous attrape, nous saisit comme un coup de tonnerre notamment dans sa dernière séquence, sublime, et qui remet en question tout ce à quoi nous avons assisté. S’il y a un film à voir en ce moment c’est bien Un soupçon d’amour de Paul Vecchiali.
mercredi 2 septembre 2020
Autant en emporte le vent (1939) de Victor Fleming
Impressionnant de par l’ampleur de ses moyens, la qualité et la fluidité de sa mise en scène, pas le moindre petit détail ne lui échappe. Le plus grand mélodrame de l’Histoire du Cinéma tient encore sacrément le coup 80 ans plus tard. Si l’entreprise surprend toujours pour sa beauté formelle et le réalisme de certaines séquences (la fuite des habitants d’Atlanta avant l’arrivée des nordistes) c’est la modernité et la puissance d’interprétation de Vivien Leigh qui frappe avant tout. Le personnage de Scarlett O’Hara était une partition géniale que la jeune actrice alors âgée de 29 ans a transcendé. On sait que Vivien Leigh après avoir lu le roman lors de sa parution en 1936 s’est immédiatement identifiée au destin du personnage. Elle embarqua pour les Etats-Unis dès qu’elle sut le film en préparation, persuadée d’emporter le rôle de Scarlett.
La magnificence des décors de Lyle Wheeler, les somptueux costumes de Walter Plunkett et la splendide photographie de Ernest Haller et Ray Rennahan continuent de nous éblouir. L’émotion, intacte, parcourt le spectateur tout au long des passionnantes 3h 40 de projection.
Il serait vain et stupide de vouloir limiter le film à une vision raciste et rétrograde qui faillit aboutir récemment à son interdiction. Remercions Spike Lee dont on connaît la dureté de l’engagement de s’élever contre une telle aberration. Lee insiste à juste titre pour que le film soit montré dans les écoles pour ses qualités cinématographiques et aussi comme témoin d’une vision de l’esclavage dans l’époque où il a été tourné afin d’alerter la conscience des jeunes générations tout en mesurant l’importance du chemin parcouru dans les films depuis.
lundi 10 août 2020
Mon île Farö (Farö document ) (1979) d’Ingmar Bergman.
L’Histoire de l’île, ses traditions, la vie de ses habitants, agriculteurs, pêcheurs et aussi celle des jeunes qui avaient déserté l’île durant leur adolescence pour finalement y trouver un sens à leur existence. Tourné en 16 mm, dix ans après le premier volet d’avril 1969, le cinéaste fait le point sur Farö et filme les objets et les gens avec l’attention d’un entomologiste. Retour aux sources pour le réalisateur des Fraises sauvages qui s’extrait de la fiction pour mieux observer encore, rendre compte du mouvement de la vie, des êtres humains, des animaux. Le paysan qui écrit des poèmes pour trouver l’apaisement, la tonte des moutons, l’histoire de la sœur disparue, sont autant de moments où le cinéaste ne cesse d’éprouver le désir filmer avec toujours une soif de curiosité, accompagné des magnifiques images de Arne Carlsson, collaborateur de Andreï Tarkovsky et de Sven Nykvist sur les derniers Bergman. Il faut voir comment l’artiste croque la vie qui se déroule sous ses yeux avec un art du montage sans pareil. Le documentaire est cinéma, il en retrouve même sa vocation première. La séquence sur la plage avec les touristes est à ce titre exemplaire. L’alternance des plans, des visages et des images de nature nous éblouit de par sa fluidité. On sait que l’auteur de Persona a vécu sur l’île, il en connaît les moindres recoins, et son engagement avec les habitants pour la préservation du lieu prend ici une valeur politique. Le pouvoir des images, la précision du commentaire et le sens des paroles enregistrées font de ce film un véritable objet cinématographique tout aussi essentiel que les autres œuvres de Bergman.
dimanche 9 août 2020
Ennio Morricone (1928-2020)
Je devais être en CM 2 lorsque je vis passer à la récré un disque vinyle qui m'intriguait : Le 33 T des bandes originales de deux films dont j'ignorais tout : Per un pugno di dollari et Per qualche dollaro in più.
Au vu de l'émotion et du succès procurés par cet album qui passait de mains en mains depuis plusieurs semaines, je réservai mon tour pour l'emprunter. Le jour J, le précieux sésame arrivé à destination je restai fasciné par les dessins sur la pochette, notamment celui d'un acteur dont j'ignorais également tout, Clint Eastwood. À 17 heures pétantes je filai à la maison pour poser le disque sur la platine des parents qui ne savaient rien non plus du compositeur. Les sons qui en sortirent me saisirent dès le premier instant. Guitares, sifflets, voix, guimbardes, carillons, violons rompaient avec les autres bandes originales que j'avais entendues. Le disque passa en boucle dans la maison pendant 8 jours avant que je ne le rende, à regrets, à son propriétaire.
Un nouveau monde s'ouvrait où la musique d'Ennio Morricone allait faire naître de premières images en moi ainsi que le désir de filmer. Il en fut de même avec une grande partie des albums du compositeur que j'achetai au fur et à mesure, constituant à ce jour une collection de plus de 300 bandes originales de Morricone sur les 500 qu'il a composées. Il est impossible de résumer la carrière de l'artiste en quelques titres. Des films parfois totalement inconnus recèlent de véritables perles musicales. Avec Ennio Morricone la musique de film entra dans une ère où elle pouvait s'écouter séparément de l'œuvre cinématographique comme on pouvait écouter Verdi, les Pink Floyd ou Pat Metheny. Écouter des musiques de films aujourd'hui est aussi courant que d'écouter n'importe quel autre genre d'album. Morricone a été à l'origine de l'immense popularité de cet art à part entière.
jeudi 6 août 2020
Éloge des salles de cinéma
Le désir de voir un film en salles naît d'abord de cette curiosité, seul ou à plusieurs, de faire un trajet comme l'on part en voyage ou à la rencontre d'un ami. Aller au cinéma comme aller au théâtre ou au concert, c'est partir de chez soi pour un moment unique dans un lieu abrité de l'agitation du monde. Une salle de cinéma est un lieu d'émotion pure.
Choisir un film pour aller le voir au cinéma c'est être curieux de tout. C'est être interpellé par un sujet, un acteur, quelque chose que l'on voudrait regarder et écouter au plus près de notre attention, un quelque chose d'inédit qui n'existe pas sur le petit écran chez soi.
Aller voir un film au cinéma c'est changer ses habitudes et son regard, c'est comme s'arrêter au musée devant un tableau qu'on ne connaissait pas et tenter d'en pénétrer le mystère.
Entrer dans une salle de cinéma n'est pas une intention anodine. Elle tient de cette chose inconnue et nécessaire entre deux moments de vie où l'on va plonger dans le regard d'un artiste qui va peut-être changer nos perspectives : une couleur, une musique, un paysage, un personnage vont peut-être nous surprendre. Nous ne les connaissons pas, ils sont uniques, éphémères, irréels et pourtant ils s'adressent à nous, à la profondeur de nos âmes. C'est une expérience à chaque fois inédite. La tenter c'est ouvrir son champ de vision à d'autres fenêtres que celles de notre rue, c'est partir à la découverte d'autres mondes. Si l'on veut bien faire ces voyages non loin de chez nous, on verra au fond qu'aucun film ne ressemble à un autre. Ils sont tous uniques, telles les nouvelles heures qui passent. Le cinéma c'est la magie des ombres et de la lumière qui peut être sans cesse renouvelée, c'est la surprise du tour de prestidigitation qu'on n'attendait pas et qui vous saisit par surprise.
Au cinéma l'on peut découvrir des histoires jamais contées, des paysages jamais traversés, des êtres jamais rencontrés. Au cinéma l'on apprend. À mieux se connaître, à mieux connaître l'autre, à mieux revenir dans sa vie.
Au cinéma durant ces deux heures que vous offrez à l'inconnu aussi bien qu'à vous-même, c'est une chance de plus de collectionner des souvenirs à jamais gravés.