Je
ne me souviens plus exactement quand j’ai entendu pour la première fois parler
de Johnny. Peut-être était-ce à la radio que l’on écoutait le soir chez nous
quand j’étais gamin ou bien à l’école lorsque des disques circulaient dans la
classe. Il devait sûrement y en avoir un de l’artiste. Mais je crois que la
première fois c’était chez Maïré, une copine tahitienne qui en était dingue.
Elle habitait dans le même quartier que moi à Bordeaux, c’est chez elle que
j’ai découvert la musique rock. On devait avoir 13 ans et elle avait tous les
disques de Led Zeppelin, de Tina Turner, de Deep Purple, d’Elvis Presley et de
Johnny. Je me souviens du 45 tours de Ma
jolie Sarah (j’adorais l’intro batterie-guitare électrique) et du 33 tours
du Palais des Sports 69 qui rivalisait
sans problème avec les albums live des groupes internationaux. L’album, d'une
énergie incroyable, sentait la sueur, la défonce, le rock dur et la guitare
Fender Stratocaster. Il nous consumait littéralement.
On
dit que Johnny a accompagné nos vies. C’est aussi vrai que les films de Woody
Allen et de Clint Eastwood. Ça fait cinquante ans et plus que ces gens ont
commencé et même si on les a pris en cours de route certains sont toujours là.
Au
lycée, lors de la sortie du film American
Graffiti, une nouvelle génération redécouvrait le rock des années 60 :
Buddy Holly, les Beach Boys, les Platters, Fats Domino, Booker T & The
MG’s. Comme toujours on aime bien revenir quinze ou vingt ans en arrière, de
même qu’aujourd’hui la mode en est aux standards des années 90. En ce qui
concerne Johnny, des copains avaient acheté un Best Of comprenant tous ses
premiers morceaux : Souvenirs, Souvenirs,
Carole, Da dou ron ron. On les écoutait dans les voitures et ce parfum
d’avant faisait rêver, étant dans une époque moderne que nous n’aimions déjà
pas. Une époque sinistre et décadente où les ombres de Taxi driver annonçaient des heures sombres, le mouvement punk et
l’héroïne qui coulait à flots dans les bas quartiers. Les sixties c’était bien
plus beau. J’aimais les robes des filles, les voitures, les couleurs et les
chansons d’Eddy ou de Johnny.
Le
seul disque de lui que j’ai jamais acheté c’était Insolitudes. J’adorais
la pochette, le titre et les morceaux La musique que j’aime, Moraya et
Le droit de vivre.
Il n'y a plus de peuple
banni
Il n'y a pas de pays
maudit
Tous les dieux sont faits
du même bois,
Une étoile vaut bien une
croix
Ensuite
j’ai perdu un peu de vue l’idole des jeunes. On aimait bien s’en moquer, lui
préférant Yes, Police et Téléphone. Mais Johnny résistait. Déjà noyé dans le
cinéma je voyais Conseil de famille
de Costa Gavras et Détective de
Godard. Le rocker devenait acteur pour de bon après une filmographie
ressemblant jusque là à celle d’Elvis Presley avec ses films chantants et ses
westerns de série B. J’écoutais encore les chansons de Johnny à la radio ou
lorsqu’une fille m’offrait Elle
m’oublie ou J’ai oublié de vivre, titres finalement plus mélancoliques que rock n’roll. J’étais parti dans le
délire des années 80 avec The Smiths, Killing Joke et Johnny c’était déjà du
passé. Je savais pourtant l’énorme impact qu’il suscitait toujours chez les
gens, électrisant les foules lors de ses concerts dont j’avais les échos au
détour de mes périples Paris-Province. Pourtant désormais il me semblait que
c’était nos parents qui l’écoutaient, nostalgiques du Twist, avec leurs allures
de vieux rockers en blouson noir bousculant un flipper. C’était un peu comme La dernière séance à la télé avec Gary Cooper et ce bon vieux Eddy.
Puis
les années 90 se sont déroulées sous le signe de la house music, de l’électro
et du rap. Pas trop de place pour le rockabilly. Pourtant Johnny était passé
entre temps dans les mains de Michel Berger, Jean-Jacques Goldman, Mathieu Chedid et Miossec comme s’il
forçait les barrages du destin, voulant rester vivant à tout prix.
Et
puis un soir à la télé en vacances chez ma mère, on approchait de l’apocalypse
du World Trade Center, j’assistais à un concert de Johnny. Comment ne pas se
rendre compte de la bête de scène qu’il était et du gigantisme du spectacle
faisant de lui assurément la star n°1 de notre beau pays de France.
On
éprouve quelque chose à la disparition de Johnny parce que nous sommes nés pour
certains avec lui et qu’il a peuplé nos souvenirs. Ne doutons pas qu’il y a
aura un grand vide après lui et ce n’est qu’un début. On en parlera encore dans
cent ans. Comment ceux qui aiment la musique et qui ont loué les plus grands
artistes internationaux ne peuvent reconnaître l’immense impact populaire et
musical que le bonhomme a laissé derrière lui.
Je
découvre tous les jours à travers des documentaires un personnage fascinant,
hors normes, au-delà du chanteur, du simple artiste. Un roi de la remise en
question, du rebondissement, qui a eu mille vies et a su ressentir le battement
d’un peuple et l’air du temps. Quoi de plus talentueux pour un artiste. Un
artiste énorme (qui peut ou a pu réunir 10 millions de spectateurs en un seul
soir...), le cas est unique et il n’y en aura probablement pas de si tôt. Non
seulement la plupart des Français aimaient Johnny mais aussi les artistes, pour
preuve l’émotion que sa disparition a suscité chez eux. Et comment ne pas aimer
un homme qui a tant brûlé, qui a consacré sa vie à son œuvre, qui a tout donné
à son public.
Dans
sa tournée Rester Vivant le 26 mars 2016 à Bruxelles, Johnny descend dans
la foule en chantant Quelque chose de Tennessee. Toutes les mains se
tendent sur son passage, il les serre et les visages remplis d’émotion parlent
d’eux-mêmes. La cohésion avec le public est totale.
La plus
belle chose que Johnny ait faite c’est d’avoir rassemblé autant de personnes,
toutes couleurs, confessions et classes sociales confondues dans une sorte de
miracle. Il
est parti comme il est venu, telle une étoile filante et je crois qu’on ne se
rend pas bien compte encore de l’énorme héritage qu’il a laissé.
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