Tandis
que nous vivons dans une époque où les images sont partout et que le monde est
truffé de caméras pour le meilleur et pour le pire avec son lot de voyeurisme
indécent, voilà qu’on fait le procès d’un homme dont la vie et le métier n’ont
jamais été rien d’autre que de filmer avec amour tout ce qui l’entourait. Je
pose la question : si les chanteurs et les guitaristes sont admis dans les
églises pour exprimer la musique de l’âme et la partager dans un moment de
rassemblement, si les caméras des chaînes de télévision permettent au public de
participer à la même communion, pourquoi la petite caméra du cinéaste
devient-elle tout à coup suspecte et une cible pour ses détracteurs ?
Je
crois que la profession de cinéaste n’est pas encore comprise vraiment, qu’elle
n’est pas totalement entrée dans les moeurs. Comme si l’on ne voyait encore en
elle qu’impudeur et sacrilège, ceux de temps révolus où l’artiste peintre était
banni par les défenseurs de l’ordre moral. Cette image est le symbole d’une
société où l’artiste est encore incriminé pour son écriture qui dérange le
bien-pensant. Claude Lelouch ce jour-là n’était pas un intrus ni un voleur mais
simplement quelqu’un qui, autorisé par la famille du défunt, voulait filmer ce
que les autres caméras ne montraient pas, c’est à dire des expressions et des
visages venus rendre un dernier hommage à leur ami disparu. Il ne se serait pas
immiscé parmi eux si les proches ne l’avaient pas souhaité. Cela faisait plus
de cinquante ans qu’il filmait le chanteur, comment ne pas l’accompagner
jusqu’au bout comme un compagnon silencieux tenant à témoigner de la dernière
empreinte qu’il aura laissée auprès notamment des siens.
Pour
aller plus loin et au-delà de l’hommage à l'artiste disparu, que resterait-il
sans le cinéaste de la mémoire du XXe siècle et de la nôtre ? Sans la merveille
inventée par Louis Lumière que serait ce monde dont nous percevons à peine
encore l’inconnu et les choses cachées ? Grâce au cinéaste nous pouvons encore
mieux lire et mieux comprendre ce que nous sommes, nous êtres humains que le
passé a souvent oublié et fait disparaître dans les limbes du temps. Le
cinéaste n’est pas un filmeur comme les autres. Il possède un regard qui
éclaire le monde de son point de vue unique et qui nous trouble parce qu’il
voit ce que les autres ne voient pas.
À
une époque où chacun peut filmer, la beauté comme l’horreur, le procès
d’intention qui a été fait ces jours derniers à un homme pour lequel l’action
de filmer possède encore un sens, remet en lumière cette phrase éloquente de
Jean-Luc Godard : « Ce n’est pas juste une image, c’est une image juste ».
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