lundi 18 décembre 2017

Défense du cinéaste

Tandis que nous vivons dans une époque où les images sont partout et que le monde est truffé de caméras pour le meilleur et pour le pire avec son lot de voyeurisme indécent, voilà qu’on fait le procès d’un homme dont la vie et le métier n’ont jamais été rien d’autre que de filmer avec amour tout ce qui l’entourait. Je pose la question : si les chanteurs et les guitaristes sont admis dans les églises pour exprimer la musique de l’âme et la partager dans un moment de rassemblement, si les caméras des chaînes de télévision permettent au public de participer à la même communion, pourquoi la petite caméra du cinéaste devient-elle tout à coup suspecte et une cible pour ses détracteurs ? 
Je crois que la profession de cinéaste n’est pas encore comprise vraiment, qu’elle n’est pas totalement entrée dans les moeurs. Comme si l’on ne voyait encore en elle qu’impudeur et sacrilège, ceux de temps révolus où l’artiste peintre était banni par les défenseurs de l’ordre moral. Cette image est le symbole d’une société où l’artiste est encore incriminé pour son écriture qui dérange le bien-pensant. Claude Lelouch ce jour-là n’était pas un intrus ni un voleur mais simplement quelqu’un qui, autorisé par la famille du défunt, voulait filmer ce que les autres caméras ne montraient pas, c’est à dire des expressions et des visages venus rendre un dernier hommage à leur ami disparu. Il ne se serait pas immiscé parmi eux si les proches ne l’avaient pas souhaité. Cela faisait plus de cinquante ans qu’il filmait le chanteur, comment ne pas l’accompagner jusqu’au bout comme un compagnon silencieux tenant à témoigner de la dernière empreinte qu’il aura laissée auprès notamment des siens.
Pour aller plus loin et au-delà de l’hommage à l'artiste disparu, que resterait-il sans le cinéaste de la mémoire du XXe siècle et de la nôtre ? Sans la merveille inventée par Louis Lumière que serait ce monde dont nous percevons à peine encore l’inconnu et les choses cachées ? Grâce au cinéaste nous pouvons encore mieux lire et mieux comprendre ce que nous sommes, nous êtres humains que le passé a souvent oublié et fait disparaître dans les limbes du temps. Le cinéaste n’est pas un filmeur comme les autres. Il possède un regard qui éclaire le monde de son point de vue unique et qui nous trouble parce qu’il voit ce que les autres ne voient pas. 
À une époque où chacun peut filmer, la beauté comme l’horreur, le procès d’intention qui a été fait ces jours derniers à un homme pour lequel l’action de filmer possède encore un sens, remet en lumière cette phrase éloquente de Jean-Luc Godard : « Ce n’est pas juste une image, c’est une image juste ».


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