Un an après, retour sur Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach.
Je ne sais pas si l’on peut mieux faire en matière de cinéma social engagé. Les
cinéastes confondent souvent réalisme et style documentaire en donnant la
plupart du temps des œuvres fades et dénuées de véritable authenticité, comme
si la vie n’était autre chose qu’un interminable fleuve triste et désespéré,
sans âme ni éclat de vie. Le film de Ken Loach est tout autre chose. A l’apogée
de son art, le réalisateur construit avec maestria une fiction basée sur des
événements réels (la vie d’un menuisier quinquagénaire en arrêt maladie, refoulé
par une société qui lui refuse toute aide sociale) et il réussit à la rendre
tour à tour tragique, tendre et humoristique. Un film qui redonne le goût de
l’humain, formidablement interprété et mis en scène, filmé simplement, avec
retenue, avec un sens évident du cadre, de la lumière, du décor. Rien n’est
laissé ici au hasard, ni le moindre figurant ni le moindre costume, chaque
détail de la vie réelle étant montré sans jamais tomber dans un « filmage »
pauvre ou dénué de sens. Le tout est conté avec assurance, la mise en scène
laissant à chaque instant place à l’émotion, le réalisateur portant un regard
bienveillant sur ses personnages pour mieux nous en restituer les vérités. Il
va plus loin encore en nous laissant entrevoir chez les êtres de la classe
oubliée cet état d’épuisement face à la société déshumanisée où la perte d’un
emploi, la solitude, la permanente bataille pour s’en sortir semblent déboucher
sur des impasses. Blake, le personnage central, va pourtant jusqu’au bout. Il
n’abandonne pas son combat, sachant aussi faire preuve de compassion à l’égard
de Katie, jeune mère qui lutte elle aussi pour ses enfants. Blake est doté
d’une vraie générosité qui apporte sa part de lumière au récit.
Dave Jones dans Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach
Le traitement du film, fait de
pudeur et de retenue, a pour effet de renforcer le tragique constat des classes
laissées sur le carreau, la justesse de ton de Loach permettant de mieux voir
et de mieux comprendre ce qu’il est parfois difficile d’accepter dans d’autres
films empreints de voyeurisme indécent. C’est l’intelligence du regard qui
prime ici et la parfaite compréhension du monde dans lequel nous vivons. Les
scènes du pôle emploi avec leur infernale spirale administrative de demande
d’aides, celle de la banque alimentaire, bouleversante, la séquence du vol dans
la supérette et toutes celles où Blake se débat avec les outils numériques
(rarement le cinéma nous a montré comment les anciennes générations ont été à ce
sujet laissées pour compte) sont à ce titre exemplaires.
Hayley Squires dans Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach
L’on ne peut être qu’admiratif
devant un travail minutieux qui trouve ses sources dans des enquêtes
parfaitement étayées, Ken Loach opérant de façon magistrale avec ses acteurs et
sa caméra au coeur d’un quartier de Newcastle dans l'Angleterre du nord. De par
cette science du regard il réussit le prodige d’accompagner ses personnages
avec une attention et une écoute précises, sans caricature aucune. Rarement ces
temps-ci film aura atteint un tel niveau de sensibilité, une telle capacité à
convaincre le plus irréductible d’entre tous en matière de cinéma d’auteur
engagé.
Briana Shann dans Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach
Si le film est fort politiquement,
c’est aussi parce qu’il réussit à montrer les méfaits du libéralisme occidental
sans avoir jamais recours à une surenchère de détails sordides et sans non plus
tomber dans le pathos et la démagogie. Ken Loach n’en a que faire pour exposer
son constat et la lettre de Daniel Blake lue à la fin par le personnage de
Katie devrait être montrée par les temps qui courent dans nos écoles et lors
des débats pour la présidentielle. Un film comme un cri qui résonne au fond de
nos maisons bien rangées, de nos débats politiques stériles, de nos bonnes
consciences tournées vers le divertissement et où la voix des oubliés se fait
entendre. C’est ce qu’a perçu le jury de Cannes l’année dernière en attribuant
au film une Palme d’Or amplement méritée.
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