Les
récentes déclarations de Christopher Nolan accusant Netflix de balayer d’un
revers de main l’exploitation du cinéma dans salles, trouvent parfaitement leur
écho lorsqu’on voit son dernier film Dunkerque.
L’expérience cinématographique qu’il propose sur grand écran n’a effectivement
que d’égal elle-même. La plongée dans un tel récit ne peut que s’opérer pleinement
sur écran géant avec la participation des spectateurs, comme le théâtre antique
à l’origine, les émotions se partageant dans le recueillement, le silence, les
ombres, la lumière et les respirations du récit. D’oublier cette messe serait
comme voir Le radeau de la Méduse de
Géricault sur une tablette plutôt qu’au musée du Louvre. La version du film en
70 mm proposée dans certaines salles augmente encore cette pleine expérience
qu’est celle du cinéma, septième art qui a mis plus d’un siècle pour rayonner
de toutes parts en terme de qualité d’image et de son sur des écrans de 10
mètres de haut et 20 mètres de large.
Le
film de Christopher Nolan est à l’image de tout ce que le cinéma a pu apporter
en tant qu’art et spectacle aux générations qui furent les premières à s’en
nourrir et pour lesquelles certaines œuvres furent inscrites en eux à jamais.
Car c’est bien de cinéma dont Nolan nous parle, de ce temps qui s’installe sur
l’écran pour mieux entrer dans une époque passée, insufflant une dimension
propre à cet art fait d’ombres, de lumières de sons et de musique.
Dunkerque renoue avec cette
tradition, offrant une œuvre grave en forme d’hommage aux soldats britanniques
évacués lors de la bataille qui fit rage au printemps 1941. Une récente
polémique faisait apparaître la cruelle absence des soldats français au
bénéfice des anglais. Soyons sérieux un instant. Le film qui relate un court
épisode de « L’opération Dynamo », conçue pour faciliter l’évacuation
des Anglais pris en étau par les Nazis, s’ouvre sur la protection de l’armée
britannique par l’héroïque résistance française dans les rues de Dunkerque
bombardées par les Allemands. Grâce aux Français qui sont en première ligne,
les Anglais peuvent ainsi rejoindre la plage pour embarquer. Nolan, d’origine
britannique, prend alors le point de vue de ses ancêtres qui ont essuyé l’un
des revers les plus meurtriers de la deuxième guerre mondiale. Réfugiés sur
leurs navires sous le feu de la Luftwaffe et malgré que celle-ci soit contrecarrée
par les avions alliés, les rescapés tentent tant bien que mal de regagner
l’Angleterre au milieu des nombreux navires coulés, y compris celui de la
Croix-Rouge, sur des bateaux de pêche et de plaisanciers français ou venant de
la Tamise. Ce seront au total plus de 300.000 hommes sur 400.000 qui seront
sauvés durant les neuf jours de l’évacuation.
Dunkerque (2017) de Christopher Nolan
Le
film n’est en rien un blockbuster. Au contraire, très européen de facture, il
repose davantage sur des instantanés, des moments de vie que sur des effets
spéciaux et des batailles. Ce sont les visages qui intéressent Nolan. La peur
qu’on peut y lire, mêlée à ce sentiment d’absurdité que tout soldat finit par éprouver
à un moment donné face à une mort imminente, à la loterie de la survie en temps
de guerre. Le point de vue humain intéresse davantage le réalisateur que tout
effet de style. Prenant le temps de filmer l’instant présent, de derniers
moments de vie au milieu d’un massacre qui dépasse les soldats, il nous dépeint
leur détresse, leur solidarité, leur courage face à l’épouvante. De
saisissantes séquences sans aucun dialogue, soulignées par l’unique son des
explosions, des rafales de balles, illustrent à elles seules ce qu’est le film.
C’est donc une certaine sobriété qui s’en émane, plus proche du Kanal (Ils aimaient la vie)l de Andrzej
Wajda que du Pearl Harbour de Michael
Bay, sans excessive valorisation de l’héroïsme. Le personnage principal, campé
par le jeune Fionn Whitehead dont c’est le premier rôle au cinéma, traverse le
cauchemar de Dunkerque comme témoin involontaire d’une apocalypse qui se
déroule sous ses yeux. Échappant in extremis à la mort, déconcerté d’être encore
en vie l’instant d’après, il nous rappelle à travers son regard sensible à la
fragilité des existences au cœur des combats.
Fionn Whitehead dans Dunkerque (2017)
L’autre
point qui renforce le film est qu’on ne voit jamais l’ennemi, principe utilisé notamment
par Stanley Kubrick dans Les sentiers de
la gloire. L’Allemand est réduit à l’état d’une machine de guerre
invisible, anonyme, ce qui amplifie encore davantage le sentiment d’oppression dans
laquelle les soldats sont enferrés. Mais si le film rend compte de ce piège
mortel, il décrit aussi en parallèle la lutte acharnée de ceux qui se sont
donnés pour mission de sauver les rescapés des navires torpillés, à commencer
par le capitaine du bateau de pêche Moonstone, subtilement interprété par Mark
Rylance. C’est de cette course contre la montre que Christopher Nolan puise son
récit, l’entraînant dans une unité de temps vers la seule volonté de s’extirper
de l’enfer qui guide le film dès les premières images.
Il
est rare que les nouvelles générations traitent de faits de guerre bien
antérieurs à leur naissance. Il faut reconnaître cette qualité au réalisateur
des « Batman » d’avoir su explorer ce genre et d’être brillamment
parvenu à le restituer en terme d’écriture, ce qui est loin d’être courant à
Hollywood de nos jours.
Mark Rylance dans Dunkerque (2017)
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