Je n’avais jamais vu la première version de Imitation of life/Images de la vie (1934) de John M. Stahl, reprise en 1959 par Douglas Sirk sous le titre français Mirage de la vie. C’est en tous points un remarquable film, d’une sobriété et d’une humilité exemplaires, assurément l’un des plus beaux mélodrames de toute l’histoire du cinéma. Comment ne pas être touché par autant de compassion sincère, d’humanité exempte de tout cynisme, à l’opposé de ce que produit la plupart du temps l’industrie du cinéma. Issu de la période de la Dépression, le film de Stahl traite plus que tout autre de la fragilité des existences, abordant les thèmes du racisme et des différences sociales au travers de personnages à la fois démunis et capables d’empathie, en deçà de toute haine et de toute rancœur.
L’amitié entre Béa et Delilah (merveilleusement interprétées par Claudette Colbert et Louise Beavers, sans doute l’une des plus grandes actrices noires du cinéma américain) dépasse la représentation hollywoodienne de cette époque, celle de l’Afro-Américain soumis au diktat blanc. Si Delilah est présentée comme une domestique ne songeant pas à sortir de sa condition, la relation qui l’unit avec son amie fait exploser tous les codes, Béa étant elle-même confrontée à d’autres formes de misère en tant que veuve élevant seule sa fille, contrainte à toutes sortes de taches.
Imitation of life fait partie de ces films comme City lights de Chaplin qui vous laissent une empreinte indélébile. Des ténèbres de la vie y naissent des éclats de lumière pour entrevoir une issue à l’Humanité malgré toutes les violences qui la tirent sans cesse vers l’obscurité. Il ne s’agit ici de rien d’autre que d’éducation (la manière subtile dont les filles de Béa et de Delilah sont élevées ensemble), de dignité humaine et de respect (Stephen, l’amant de Béa, magnifiquement incarné par Warren Williams, place sa compréhension des autres avant son désir personnel) et d’intelligence, chacun essayant sans cesse de se dépasser, d’un point de vue moral, social et psychologique. La complexité des rapports qui se tissent entre chacun, hommes, femmes, personnes de couleur, blanches, métis, dresse un constat pour le moins saisissant de certains rapports de classes méconnus durant l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire américaine. Chacun résiste ici en faisant bloc contre l’adversité avec un sens de la responsabilité hors du commun, et ce qui aurait pu sombrer dans le film noir le plus désespéré est retenu par un souci permanent de la cohésion familiale.
Peola, la fille métis de Delilah, malgré l’oppression dont elle est victime parce que rejetée de la communauté blanche, fait preuve d’un extraordinaire dépassement de soi à travers l’amour qu’elle porte pour sa mère, luttant sans cesse pour ne pas la rejeter à son tour, ce qui est beaucoup plus émouvant que dans le film de Sirk. Malgré ses grandes qualités il faut bien dire que le film de 1959 est assez contestable de ce point de vue, d’autant plus que le rôle est joué par une actrice mexicaine. Fredi Washington qui incarne Peola dans le film de Stahl, on le sait peu, fut l’une des premières personnes de couleur à être reconnue pour son travail au cinéma et au théâtre dans les années 1920 et 1930.
Ce film devrait être montré dans toutes les écoles à l’heure où la division a repris le pas sur le collectif, dans une période où l’on rejette l’Histoire en ne la percevant qu’à l’aune des droits et des libertés si durement acquises.
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