jeudi 28 août 2014

Hommage à Richard Attenborough (1923-2014)


Sir Richard Attenborough est décédé à Londres dans sa 90e année. Acteur dans près de 80 films, producteur, réalisateur, il avait débuté sa carrière en 1942 dans le film de David Lean In which we serve (Ceux qui servent en mer) avant de s'engager au service cinématographique de la Royal Air Force. En 1946 il s’était fait remarquer en pilote britannique dans le chef d’œuvre de Michael Powell et Emeric Pressburger A Matter of Life and Death (Une question de vie ou de mort) avant d'être retenu l'année suivante par les frères Boulting pour interpréter le mémorable Pinkie Brown dans le film Le gang des tueurs (Brighton rock). Adapté de Graham Greene dont ce fut l’une des meilleures transpositions à l’écran, il y excellait en truand désespéré sombrant peu à peu dans une violence aveugle.

Brighton rock (1946)

La carrière d’Attenborough acteur était lancée. Il reçut en 1948 une ovation de la critique pour sa composition dans The Guinea pig, également des frères Boulting. Souvent spécialiste des films de guerre, du Gift horse (Commando sur Saint-Nazaire) de Compton Bennett au très beau Dunkerque de Leslie Norman, modèle d'un genre où prédominaient les Anglais à cette époque, il tourna avec les plus grands réalisateurs : Robert AldrichOtto Preminger, Robert Wise, Richard Fleischer, Satyajit Ray ou encore Steven Spielberg.

The Guinea pig (1948)

On se souvient également de sa prestation dans The great escape (La grande évasion) de John Sturges, film qui lui valut une réputation internationale. En 1964 on le retrouva dans Seance on a Wet Afternoon (Le rideau de brume) de Bryan Forbes, un thriller psychologique d’après Mark McShane où il interprétait un mari manipulé commettant un rapt d'enfant, rôle pour lequel il obtint un BAFTA award dans la catégorie meilleur acteur. Le prix lui fut également décerné pour son interprétation du sergent-major Lauderdale dans Guns at Batasi (Les canons de Batasi) de John Guillermin, bon film de guerre qui se laisse voir sans déplaisir.

Seance on a wet afternoon (1966)

Mais c’est dans le splendide The Sand Pebbles (La canonnière du Yang-Tsé) de Robert Wise où il incarne Frenchy, le compagnon de route du personnage joué par Steve MacQueen, que la justesse de son jeu fit merveille en amoureux transi d’une Chinoise perdu au milieu de la première guerre civile opposant les forces nationalistes de Tchang Kaï-chek aux communistes. Sa composition fut récompensée par le Golden Globe du meilleur second rôle.

La canonnière du Yang-Tsé (1967)

Après Doctor Doolittle (L’extravagant Dr Doolittle) qui n’est pas le meilleur Richard Fleischer, il incarna le tueur en série John Reginald Christie dans l’extraordinaire 10 Rillington Place (L’étrangleur de la place Rillingtondu même réalisateur. Cette quasi-autopsie d’une histoire réelle offrit à Attenborough la possibilité d'accomplir une véritable performance d’acteur.


L’étrangleur de la place Rillington (1971)

En 1977, il interpréta le général Outram dans le splendide Les joueurs d’échecs de Satyajit Ray, puis, après s’être tourné vers la mise en scène, on le retrouva en 1994 dans le mythique John Hammond de Jurassik Park qui redonnait vie aux dinosauressuccès planétaire qui l’immortalisa. Le film sera suivi d’une suite, Jurassic Park, the lost world, largement inspirée de King-Kong.

Jurassic Park (1994)

Mais c'est surtout comme réalisateur qu'Attenborough réussit à donner la pleine mesure de son talent. Pas moins de 12 films à son actif dont Oh ! What a lovely war ! (Ah! Dieu que la guerre est jolie), film polémique de 1969 qui dénonçait les atrocités de la guerre et, en 1972, Young Winston (Les griffes du lion), consacré à des épisodes méconnus des débuts de Churchill. Le film évoque les difficiles relations avec son père, interprété par Robert Shaw, ainsi que la période où il fut officier et correspondant de guerre (notamment lors des conflits entre la Grande-Bretagne et le Soudan, puis avec l'Afrique du Sud) jusqu'à son élection au Parlement en 1906. Bénéficiant d'importants moyens pour les scènes de batailles qui font penser à David Lean et pour les reconstitutions au Parlement, le film, de facture classique, n'en est pas moins passionnant et brosse une Histoire contemporaine de l'Angleterre qu'Attenborough poursuivit dans ses films suivants. En 1977 il réalisa A bridge too far (Un pont trop loin), autre super production qui décrivait l'opération aéroportée Market Garden menée par les armées Alliées en septembre 1944. Le film demeure assez authentique d’un point de vue historique et Attenborough, par un rythme soutenu, démontrait à l'aide d'un casting prestigieux son indéniable maîtrise en tant que réalisateur. Il demeure parmi l'un des classiques du genre et dans lequel les Anglais excellent.

Simon Ward dans Young Winston (1972)

Il n’existe pas en France d'analyse sérieuse sur l’œuvre de Richard Attenborough. Peu digne d’intérêt semble-t-il pour les cinéphiles, ses films semblent la plupart du temps ignorés pour ne pas dire incompréhensiblement massacrés comme si le souffle qui les traversaient dérangeait une partie de l’intelligentsia avide d’âpreté et de cynisme. Accusé de lourdeur compte tenu des moyens déployés, le cinéma de Richard Attenborough est tout le contraire. En quête de romanesque, il renoue avec une certaine tradition hollywoodienne que n’aurait pas désavouée Douglas Sirk, ce dernier étant parfois abusivement porté aux nues tandis qu’on vilipende de l'autre côté le David Lean de La route des Indes, le Spielberg d’Always, l’Edward Zwick de Légendes d’automne et l’Attenborough de Grey Owl. Ces films racontent des histoires la plupart du temps authentiques à la manière des romans, transcendant les mots en images, mais le talent de conteur, on le sait, n'est quasiment jamais pris en compte dans la critique des films de cinéma. On s’en tient uniquement à la psychologie et à la réalité documentaire alors qu’il est question d'utiliser la meilleure construction narrative possible pour appréhender le réel.

Un pont trop loin (1977)

On oublie également qu’Attenborough opéra dans tous les genres, pour preuve son méconnu Magic d’après Edgar Poe avec Anthony Hopkins, où un ventriloque sous l’emprise de sa marionnette commettait des crimes épouvantables. Ce quasi huis-clos sans artifices parvenait à créer un suspense assez terrifiant tout en permettant à Hopkins, schizophrénique à souhaits, d'y accomplir une éblouissante performance. On pense à Polanski, au cinéma de la Hammer et il faut revoir ce film pour se rendre compte des formidables qualités de metteur en scène d'Attenborough. Retour à un cinéma historique en 1982 avec Gandhi (Il mit 15 ans pour lui faire voir le jour) film qui reste probablement son chef d’œuvre. Le conflit anglo-indien n’avait jamais été aussi bien traité depuis Bhowani junction (La croisée des destins) de George Cukor et la mise en scène, d’une minutie extraordinaire, révéla Ben Kingsley. L’œuvre rendit hommage à son auteur en remportant pas moins de 8 Oscars en 1983, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Anthony Hopkins dans Magic (1978)

Il fit une incursion dans la comédie musicale en 1985 avec Chorus line, sur lequel on passe généralement un peu vite, mais c'est oublier la qualité des numéros musicaux et l’audace des thèmes qu’il abordait à l’époque, notamment ceux du racisme et de l’homophobie. Retour au cinéma historique en 1987 avec Cry freedom (Le cri de la liberté) sur le meurtre de Steve Biko après les massacres de Soweto en Afrique du Sud en 1977. Engagé, Attenborough fut le premier à évoquer dans une production d’envergure la lutte anti-Apartheid, grâce à un casting sans failles composé notamment de Kevin Kline et de Denzel Washington, en tous points remarquables. Cry freedom demeure une grande œuvre humaniste emplie de tolérance et dont la minutie de reconstitution continue de placer son auteur parmi les réalisateurs les plus talentueux de son temps. Rappelons que le film, soutenu par Amnesty International, fut à l’époque interdit en Afrique du Sud.

Cry freedom (1987) 

En 1992 son Chaplin déçoit, mais il n’en reste pas moins que le film a le mérite d’éviter la caricature et surtout de rendre un vibrant hommage au génie que l’Amérique avait rejeté sous la pression de J. Edgar Hoover. Robert Downey Jr y fait une magnifique composition et il faut voir Kevin Kline, savoureux en Douglas Fairbanks. Une fois de plus la qualité de reconstitution historique demeure le point fort d’Attenborough dans cette œuvre ambitieuse, sensible et poignante, qui explore avant tout l'homme Chaplin, ses relations avec les femmes, ses angoisses face à la survie de son œuvre et ses démêlés avec le système hollywoodien lors de la création de la United Artists. Dans cette approche en clair-obscur des coulisses du créateur du Kid, ce n’est pas l'aspect comique qui prévaut mais plutôt l’exploration méticuleuse d’un destin hors du commun à travers les contradictions de son époque.

Robert Downey Jr dans Chaplin (1992)

A nouveau investi d'une passion particulière pour sa terre natale l'Angleterre, Attenborough tourna l’année suivante le magnifique Shadowsland (Les ombres du cœur), adapté d’une pièce de théâtre de William Nicholson avec Anthony Hopkins (avec lequel il tourna 5 films) et Debra Winger. Le film évoque la relation entre l’écrivain catholique irlandais C.S Lewis, auteur entre autres des Chroniques de Narnia, et la poétesse américaine juive et communiste Joy Davidman. Avec beaucoup d'intelligence et de pudeur, Attenborough aborde avec cette histoire d’amour hors du commun tous les thèmes qui lui sont chers : la tolérance, la notion d'engagement, la compassion envers autrui. Qui plus est il fait preuve d'empathie dans son observation cruelle et lucide, s’attachant à nous décrire avec un regard acéré la société foisonnante d’Oxford dans les années 50. Il leur oppose les moments intimes et secrets des deux protagonistes, s’attardant particulièrement sur leurs rituels (notamment dans la superbe scène du mariage), l'accession à une certaine forme de spiritualité permettant d’échapper aux vicissitudes du monde. Le film, une nouvelle fois magnifiquement interprété par Hopkins sans oublier Debra Wingernous touche de par sa délicatesse tout en abordant avec une retenue exemplaire le thème de l’amour que la mort vient contrarier. Les ombres du cœur, d'une humanité extraordinaire, est l'un des meilleurs films d'Attenborough. Il fait partie de ces films qui élèvent l'âme et enrichissent nos consciences, nous rappelant que l'accession à la conscience et au bonheur ne peuvent se faire sans souffrance, tel ce dialogue emprunté à C.S. Lewis : « Je ne crois pas que Dieu tienne particulièrement à ce que nous soyons heureux… Non, il veut que nous soyons capables d’aimer et d’être aimés… Il veut que nous devenions des adultes. Mais nous nous croyons qu’avec nos jouets, nos jouets puérils nous saurons atteindre le bonheur. Et nous jouons avec eux comme si le monde était notre chambre, mais c’est tout. Il faudra bien un jour qu’une chose nous en fasse sortir afin de toucher les autres. Cette chose je pense que c’est la souffrance. » Proche de Douglas Sirk auquel il fait référence parfois, le film fut une nouvelle fois sabordé par la critique qui n’y a pas vu la profondeur et la complexité qui en ressort à chaque image, celle-ci étant ici particulièrement soignée. Il faudrait remonter aux années 40 et aux films de John Stahl, tels The keys of Kingdom (Les clés du royaume) ou la première version de Imitation of life (Images de la vie), pour trouver pareil traitement.
 
Les ombres du coeur (1993)

Autre malentendu, son adaptation du journal d’Hemingway évoquant ses années de jeunesse durant la guerre de 14-18, In love and war (Le temps d’aimer) qu’Attenborough entreprit en 1996. Le titre français évoque cette fois ouvertement Douglas Sirk et dans cette nouvelle tragédie de l’existence où rien ne semble possible de l’amour sur terre tant celle-ci est ravagée par les guerres, la forme du mélodrame utilisée rappelle le cinéma hollywoodien d’une autre époque. Mais si malgré la justesse de Sandra Bullock et de Chris O’Donnel le film n’emporte pas cette fois totalement l’adhésion, c’est qu’il lui manque ce souffle de passion qui traversait jadis le cinéma auquel le réalisateur fait référence et sur lequel il s’appuie avec quelques facilités. S’il démontre sa capacité à s’engager sur le plus pur terrain du romanesque, ce que plus personne ne fait aujourd’hui, il fallait toutefois une certaine audace de nos jours pour partir sur de telles voies rappelant à bien des égards Margaret Mitchell. De belles scènes cependant, notamment le douloureux retour d’Agnès Von Kurowsky vers le jeune Hemingway après la guerre et qui marquera la séparation définitive des deux êtres.

In love and war (1996)

Le très beau Grey Owl, datant de 1999, décrit la vie et le travail du trappeur Archie Grey Owl, issu de la bourgeoisie anglaise, qui décida de vivre parmi le peuple Mohawk. Ayant revendiqué le statut de natif américain er devenu un fervent conservateur de la nature, il fut l’un des premiers, dès les années 1930, à alerter l’opinion publique sur la mise en danger de l’écosystème par les abus de la chasse et par l’industrialisation excessive des peaux d’animaux. Dans ce film empreint de gravité on retrouve un étonnant Pierce Brosnan souvent bouleversant dans le rôle titre. Courageux plaidoyer en forme de réhabilitation sur l’un des pionniers oubliés de l’exploration, l’œuvre, dotée d’important moyens, comporte de nombreuses séquences passionnantes où l’on sent bien ce qui intéresse Attenborough : la disparition d’un monde et d’une terre en proie au plus tragique des héritages que nous léguons aux générations futures. Le film, cuisant échec commercial, fut une nouvelle fois ignoré par l’ensemble de la critique. Son caractère pourtant authentique et la précision de sa mise en scène mériteraient pourtant qu’on s’y attarde à nouveau.

 Grey Owl (1999)

En 2007 Richard Attenborough signa son dernier film,  Closing the ring, sorti uniquement en DVD sous le titre War and destiny, poignante et remarquable histoire d’amour, elle aussi injustement méprisée. Durant la seconde guerre mondiale, après le crash d’un avion américain au-dessus de Belfast, l’un des pilotes encore en vie devait remettre à un Irlandais une bague de fiançailles avec la promesse de la donner à son destinataire. Mais l’appareil ayant explosé auparavant, la promesse ne put être tenue. Cinquante ans plus tard la bague est retrouvée et le puzzle se reconstitue avec les protagonistes encore en vie. Comme le temps qui libère et cicatrise les blessures, le film nous parle une nouvelle fois d’amour contrarié, de non-dits et du besoin de réponses pour faire enfin son deuil. Magnifiquement interprété par Shirley MacLaine et Christopher Plummer ce très beau film s’impose à travers la force de son histoire et la sobriété de sa mise en scène. Un film aux tonalités sombres où s’enchevêtrent habilement présent et passé et qui aborde le thème du dépassement de soi. Une œuvre profonde et grave d'une exceptionnelle justesse qui mérite elle aussi d'être réévaluée.

Shirley MacLaine dans Closing the ring (2007)

Les films de Richard Attenborough, sans doute l’un des derniers géants du cinéma, offrent une vision pour tous publics tout en étant dotées de matière à  réflexion, ce qui il faut bien l'avouer est devenu objet de rareté. En ce sens, pour le courage dont ils font preuve et les témoignages qu’ils offrent aux générations futures, ses films, n’en doutons pas, traverseront temps. Il fut un cinéaste important hélas fort sous-estimé.


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