Jafar Panahi est l’un des
plus importants cinéastes iraniens, avec Abbas Kiarostami, dont il fut par
ailleurs l’assistant. Son premier long-métrage, Le ballon blanc, très attachante histoire
d’une petite fille en quête du billet qu’elle a perdu pour s’acheter un poisson
rouge, avait été récompensé par la Caméra d’Or au Festival de Cannes en 1995.
Mais c’est surtout avec Le cercle (2000), bouleversant film sur la condition des
femmes en Iran, qu’il fait preuve d’un immense talent de metteur en scène,
œuvre qui lui vaut les foudres de la censure dans son pays. Tous ses films, Sang
et or (2003),
sur la guerre en Irak, Hors jeu (2006), documentaire traitant lui aussi de la
place des femmes en Iran, sont interdits par le régime. Seuls des DVD sont
vendus sur le marché noir. Il ne tournera plus qu’un long métrage resté
inachevé, après que les gardiens de la révolution aient interrompu le tournage
et mis sous séquestre la pellicule. Condamné à l’interdiction durant 20 ans de
pratiquer son métier, Jafar Panahi est alors assigné à résidence, risquant de
surcroît une peine de 6 ans d’emprisonnement. C’est dans la clandestinité qu’il
tourne Ceci n’est pas un film, avec la complicité de son ami réalisateur
Mojtaba Mirtahmasb, expérience unique dans l’histoire du cinéma d’un film qui
n’existe pas, qui aurait pu être, et qui tente malgré tout de devenir un objet
filmé.
Ceci n’est pas un film de Jafar Panahi
Nous voyons le réalisateur
chez lui, amputé de son outil d'expression, se servant tour à tour d'un
téléphone mobile, d’une caméra de reportage et d’un écran de télévision dont il
extrait des fragments provenant de ses précédentes oeuvres, pour filmer
l’impossible d’une création en devenir. Son projet existant sous la seule forme
du scénario, le cinéaste nous en offre quelques séquences imaginaires, utilisant
son propre appartement pour simuler les décors, ainsi que quelques repérages
tournés sur son I-phone. Il nous détaille les plans précis des premières
séquences, travellings, gros plans, photos du casting à l’appui, avant de
renoncer finalement à aller plus loin, un film n’étant « jamais ce qu’on
raconte, mais ce qu’on réalise ». Ceci n’est pas un film devient alors le film de
la propre vie de Jafar Panahi, entre conversations surveillées au téléphone,
inquiétudes quant aux visiteurs venant frapper à la porte, le tout sous fond de
révolte sourde des étudiants qui grimpe peu à peu de la rue.
Jafar Panahi et Iggy dans Ceci n’est pas un film
L’œuvre est non seulement
bouleversante quant à son sujet, mais aussi parce que le réalisateur sait avec
un art sans pareil de la mise en scène, captiver l’attention du public pendant
1h 20, avec sa personnalité tour à tour attachante, pleine d’humour, et tentant
avec une dignité exemplaire de masquer son désespoir profond. Je n’avais jamais
vu un tel film, acte de résistance ultime de la part d’un homme non seulement engagé,
mais qui a aussi valeur selon d’exemple pour tous les cinéastes du monde
entier. Son courage ne peut qu’inciter au combat pour le changement, il est une
formidable leçon d’espérance. Jafar Panahi nous montre que le cinéma est un
puissant moyen d’expression que les techniques numériques d’aujourd’hui ne
peuvent que renforcer, au-delà de toute interdiction à l’image et à la parole.
Dupliqué sur une clé USB et glissée ensuite dans un gâteau, Ceci n’est pas
un film a
franchi la frontière pour nous parvenir aujourd’hui sur un grand écran dans une
copie d’une qualité exceptionnelle.
Jafar Panahi dans Ceci n’est pas un film
Visionné fraîchement sorti
du laboratoire, ce film m’a enthousiasmé et bouleversé au plus haut point. Tous
les publics peuvent le voir, non seulement comme document, mais aussi comme
œuvre d’art, sa galerie de personnages haute en couleurs étant le plus beau des
castings : Mojtaba, le complice et caméraman, Iggy, l’iguane de compagnie
du cinéaste, le chien de la voisine, l’étudiant qui gagne sa vie en descendant
les poubelles et avec lequel le réalisateur prend l’ascenseur, risquant une
sortie vers les sous-sols avant d’être stoppé par les grilles d’entrée de
l'immeuble.
Ceci n’est pas un film est un film, le meilleur
que j’ai vu depuis longtemps. La classe entière, politique et artistique, doit
se mobiliser ainsi que nous-mêmes, spectateurs d’un idéal de cinéma que le
confort de nos sociétés, la plupart du temps, ne parvient plus à nous donner.
Plus qu’un film, Ceci n’est
pas un film
est un cri dont l’écho continue de résonner au-delà de l’écran, longtemps
encore après sa vision.
Sortie au cinéma le 28 septembre
www.kanibal.eu
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