Un film comme un documentaire sous la forme d’un film de fiction en cinémascope et en couleurs, un film avec des visages, des acteurs, des décors, de la musique, mais pas un film au sens où on l’entend. Une réflexion sur l’art, le langage, le cinéma, la publicité, à partir d’un portrait de femme incarnée par Marina Vlady magnifiquement photographiée par Raoul Coutard. Au regard de la liberté de ton extraordinaire du film on se rend compte à quel point les années 60 ont été révolutionnaires.
Tout commence au milieu des grues qui construisent le paysage de ces années-là. Dans le cadre d’une cité H.LM, au moment de la guerre du Viêtnam, des intervenants autour du personnage de Marina s’interrogent sur le sens de leur existence, la parole étant essentiellement donnée aux femmes. Document sociologique sur une époque en pleine mutation, entrecoupé de plans muets fascinants ou parfois chuchotés par Godard en voix off, les conversations sur la vie, les propos d’anonymes et d’acteurs (Anny Duperey, Juliet Berto…), les paroles d’enfants, sont souvent bouleversantes. C’est l’ère du début de l’envahissement de la publicité, dénoncée déjà par le cinéaste dans ses précédents films, ce qui lui permet de déployer toute sa verve. (« Si par hasard vous n’avez pas l’occasion d’acheter du LSD, achetez donc la télévision en couleur »)
Tout est passionnant dans ce film pour qui veut bien entreprendre le voyage, à condition d’aimer le cinéma pour ce qu’il peut proposer de différent, hors des normes du récit traditionnel. Voir ou revoir un film de Godard équivaut à une cure de désintoxication d’un flot permanent d’images qui finit par aliéner. Dans un final éloquent en forme de packshot sur des produits de consommation usuels, le cinéaste traduit l’effet de conditionnement et d’endormissement par la publicité en concluant par ces paroles toujours chuchotées : « J’écoute la publicité sur mon transistor, je pars sur la route du rêve, j’oublie le reste, j’oublie Hiroshima, j’oublie Auschwitz, j’oublie Budapest, j’oublie le Viêtnam, j’oublie le SMIC, j’oublie la crise du logement, j’oublie la famine aux Indes, j’ai tout oublié, sauf que puisqu’on me ramène à zéro, c’est de là qu’il faudra repartir. »