jeudi 10 octobre 2013

L'ombre de Daniel Duval


Octobre sombre, après Patrice Chéreau, Daniel Duval est parti. On connaissait Daniel Duval comme acteur, mais d’aucuns oublient qu’il s’illustra lui aussi comme l’un de nos meilleurs réalisateurs. Son parcours de cinéaste, chaotique, ressemble à un long chemin brumeux qui l’empêcha, outre La dérobade en 1979, de rencontrer le succès qu’il méritait dans les salles obscures. Depuis plusieurs décennies je défends son cinéma, rejeté par la critique, et qui semble ne pas avoir échappé à l’étiquette de cinéaste maudit. On encensa Pialat, mais on oublia dans le même temps Daniel Duval. Depuis Le voyage d’Amélie, en 1974, en passant par L’ombre des châteaux, en 1976, jusqu’au Temps des porte-plumes, en 2006, et qui passa totalement inaperçu, il faudra un jour poser la question au grand jour « Qui défend quoi ? » et « Que défend-t-on ? » pour que la critique ait à ce point fait la fine bouche devant l’un de nos cinéastes les plus incisifs. A une époque où il est de bon ton de baigner dans le film social, on balaie d’un revers de la main l’un de ceux qui a montré avec le plus d’authenticité et d’intelligence la vie des laisser pour compte aux cinéma, ceux que la société écrase ou élimine. Il faut revoir les films de Daniel Duval pour se rendre compte à quel point il a été ignoré.


Je me souviens, au bar du Faitout à Ménilmontant, il aimait s’installer au comptoir, solitaire et discret. Quand nos conversations venaient sur ses films, je n’hésitais pas à lui parler du Voyage d’Amélie dont il me disait que j’étais l’un des rares à l’avoir vu. Je me révoltais, en voulais à la terre entière, lui disais mon admiration pour L’ombre des châteaux. Il m’écoutait, silencieux, jamais amer, toujours en devenir d’un prochain film. Il était fier d’avoir joué dans Beau rivage, l’un de ses derniers comme acteur, et j’avais toujours plaisir à le retrouver. Il n’était pas sollicité comme une vedette, personne ne se précipitait pour lui parler, mais pour moi Daniel Duval a beaucoup compté dans un paysage cinématographique qui ressemble trop souvent à Icare prêt à se brûler les ailes à la lumière des projecteurs.

Filmographie de Daniel Duval en tant que réalisateur :

Le voyage d’Amélie (1974)
Avec Louise Chevalier, Daniel Duval, Stéphane Bouy et Myriam Boyer.

Contre une somme modique, cinq voyous de banlieue se voient proposer de convoyer en camionnette un cadavre vers un lointain village. Le voyage ne se déroule pas sans péripéties. 

Avant ce premier long-métrage, Daniel Duval avait réalisé un court-métrage Le Mariage de Clovis (1969) inspiré de son meilleur ami, Clovis, ferrailleur en banlieue. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1969, le film, serti de prix, fut distribué en salles conjointement à Théorème de Pasolini, autre astre noir. Le voyage d’Amélie nous plonge dans l’univers de la vie rurale en France dans les années 70. Le film, tourné en 16 mm avec très peu de moyens, surprend de par son authenticité et surtout par l’épaisseur des personnages, sortes de marginaux errants tels des fantômes. Duval s’y révèle un auteur complet, doté d’une grande sensibilité, et l’un des rares avec Maurice Pialat à aborder la vie sociale des déshérités de manière aussi brute et écorchée.


 
L’ombre des châteaux (1976)
Avec : Philippe Léotard, Zoé Chauveau, Albert Dray.

Années 1970, banlieue parisienne. Dans le décor heurté d’une carrière où la nature a repris ses droits, entre excavations et monticules, ont fleuri de misérables bidonvilles. Les Capello, famille d’immigrés italiens, vivent dans une bicoque faite de bric et de broc. Le père et la mère ne dégoisent pas un mot, absorbés dans des tâches abrutissantes. La fille s’est faite pincer à faucher dans les cimetières et envoyer dans un institut de redressement. Les deux fils, ses frères aînés, vont remuer ciel et terre pour libérer leur petite soeur, et fuir avec elle les structures coercitives de cette France giscardienne.

Ce film fut pour moi un choc à sa sortie. Les interprètes, de tout premier ordre, hantent ce film admirable qui sait dépeindre à la fois les sentiments et la vie en sursis de ces êtres condamnés à plus ou moins courte échéance, sans pour autant céder au misérabilisme. L’ombre des chateaux est doté d’éclairs lyriques qui l’apparentent parfois aux plus belles heures du cinéma italien. La lumière, l’utilisation habile des couleurs, l’utilisation de la caméra, apportent au film une réelle dimension émotionnelle qui confirme l’immense talent de Daniel Duval cinéaste.



La dérobade (1979)
Avec Miou-Miou, Maria Schneider, Daniel Duval.

Marie est une jeune femme issue d'une famille d'ouvriers qui tombe amoureuse d’un homme dont elle découvre qu'il est un dangereux et sadique proxénète. Régulièrement battue et violée, Marie tente de s'enfuir pour retrouver le contrôle de son corps et de son esprit.

Adaptée du roman autobiographique de Jeanne Cordelier, cette descente aux enfers dans les milieux de la prostitution, est probablement l’un des témoignages les plus forts sur le sujet jamais traité au cinéma. Doté d’une portée documentaire passionnante,  le film doit non seulement à sa mise en scène, incisive, mais aussi à Miou-Miou qui excelle dans son rôle de femme victime de sa condition, et qu’elle rejette avec force pour atteindre les voies de l’émancipation. Miou-Miou fut récompensée pour ce film par le César de la Meilleure actrice en 1980.

Maria Schneider et Miou-Miou dans La dérobade (1979)


 L’amour trop fort (1981)
Avec : Marie-Christine Barrault, Jean Carmet, Daniel Duval.

Une solide amitié liait Max, vieil acteur raté, à Charlie, jeune metteur en scène ambitieux, jusqu'au jour où ce dernier rencontre le grand amour en la personne de Rose-Marie, une jeune antiquaire . Abandonné par sa femme, Max se raccroche au nouveau couple mais sa présence devient trop pesante et Rose-Marie menace de rompre si Charlie ne choisit pas.

Méconnu, ce film aborde la question de l’impossibilité d’aimer chez deux êtres de conditions sociales trop différentes. Pour la première fois Daniel Duval utilise le registre de la comédie. Il y réussit pleinement, l’œuvre étant doté d’un ton alerte, vif, tout empreint de finesse, ce qui fait souvent défaut au genre, et les interprètes (Jean Carmet en tête) sont tous excellents, comme à l’accoutumée chez Duval.

 Marie-Christine Barrault, Jean Carmet et Daniel Duval 
dans L'amour trop fort (1981)


Effraction (1983)
Avec : Marlène Jobert, Jacques Villeret, Bruno Cremer.

Lors d'un hold-up qui tourne mal, Valentin tue plusieurs personnes. Il s'enfuit avec le butin et, pourchassé par la police, il rencontre un couple dont la femme l'attire irrémédiablement. 

Un bon polar au casting solide avec un Jacques Villeret dans un rôle inattendu, librement adapté de Francis Ryck, et qu’il faudrait revoir. Duval, après quelques téléfilms comme réalisateur (Un chien enragé, 1984, Lorfou, 1986, Les lendemains qui tuent, 1990, et Mais qui arrêtera la pluie ? , 1990, ne signa plus ensuite qu’un long-métrage Le temps des porte-plumes en 2006.

Marlène Jobert et Jacques Villeret dans Effraction (1983) 


Le temps des porte-plumes (2006) 
Avec : Lorant Deutsch, Jean-Paul Rouve, Anne Brochet, Denis Podalydès et Annie Girardot.
Après 22 ans de silence, Daniel Duval revient au cinéma avec ce film autobiographique. Cette chronique raconte la lente reconstruction d’un enfant rebelle et en manque d’amour dans une famille d’accueil à la campagne pendant les années 60, avec ses blessures et sa solitude intérieure suite à la séparation avec sa famille d’origine. La reconstitution de cette époque est sobre, sans jamais céder au sentimentalisme. Duval prend son temps, promène avec émotion son regard sur cette famille aimante, ces ambiances rigides d’école primaire, de vie austère à la ferme, et la force du film repose sur la notion de temps à l’intérieur duquel le réalisateur puise ses souvenirs pour parvenir à une œuvre aboutie et maîtrisée de bout en bout.
Annie Girardot dans Le temps des porte-plumes (2006)  

3 commentaires:

  1. J'ai aimé, Marlène, dans LE PASSAGER, j'ai adoré, Annie, dans MOURRIR D'AIMER! Maintenant, je pleure mon fils, ALEXANDRE, depuis le 11 juillet 2013! Il me reste les mots et les lettres. J.J.G. de Oliveira dojojo9@hotmail.fr

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  2. votre article ressemble étrangement à celui-ci écrit un an avant : plagiat ou hommage ?
    http://www.revuezinzolin.com/2012/09/s01e06-lombre-des-chateaux-daniel-duval-1976/

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    1. Des extraits de textes proviennent effectivement de la revue ZINZOLIN, que j'aurais dû citer, et qui est pour moi une référence en matière de cinéma indépendant. Bravo pour votre oeil ! Bien à vous, B.F.B

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