samedi 13 novembre 2021

Derrière la porte

Derrière la porte est un court-métrage de 10 minutes que je viens de tourner, écrit par la romancière Marie-Christine Point. Il y est question de quête d'identité quand on a été une enfant abandonnée et que vient le moment de rencontrer sa génitrice. Le film se concentre sur cet instant fragile et terrifiant où l'on se décide enfin d'aller sonner à la porte. 

 

L’actrice Ségolène Point est venue me voir un jour avec l’idée d’un court-métrage qui se passerait entièrement devant une porte. Mais elle ignorait la raison de cette situation. Après en avoir parlé à sa mère, la romancière Marie-Christine Point, celle-ci est revenue deux jours plus tard avec un texte qui exposait les raisons pour lesquelles le personnage pouvait se retrouver dans cette situation d’attente. Le texte était bouleversant. Très curieusement il évoquait, sans que je ne sache rien par avance, une situation que j’avais personnellement vécue. J’ai tout de suite dit : « On fait le film ».

 

Après avoir peaufiné le scénario en utilisant le texte en voix off, Derrière la porte s’est tourné en quelques heures à Damgan dans le Morbihan le mardi 28 septembre 2021. Le montage s’est enchaîné rapidement et je peux dire aujourd’hui que c’est l’un des meilleurs courts-métrages que j’ai réalisé. Ce film qui est un peu comme une nouvelle sera projeté dans les salles comme antan en première partie du long-métrage De l'autre côté du mur de Tiburce.



DERRIÈRE LA PORTE

Avec : Ségolène Point

Texte : Madeleine Point

Scénario et réalisation : Bruno François-Boucher

Images et montage : Christian Baudu

Musique : Peder B. Helland « Frozen in time »

Enregistrement voix : François Le Roux

Durée : 11 minutes

Production : Bon Voyage Films PR

© 2021


Avant-Première le jeudi 25 novembre 2021 à 19h30 à La Péniche Cinéma- 75019 Paris





vendredi 12 novembre 2021

Cry Macho (2021) de et avec Clint Eastwood

Un film simple et beau. Tout commence par de superbes plans en cinémascope sur des paysages et des chevaux. Puis la silhouette d'un homme au volant d'une voiture. D'abord la main qui passe une vitesse puis les yeux dans le rétroviseur. La voiture s'arrête, un pied descend et la silhouette de l'homme apparaît, coiffé d'un Stetson. C'est le patron. Clint imprime sa légende au delà du temps. Je n'en dirai pas davantage, il faut voir le film. C'est plus d'une fois bouleversant, comme un poème sur la vie et la vieillesse, un hommage à mère nature, aux animaux et à tant de choses qui traversent les existences, destins brisés ou en devenir. Western nostalgique qui ne dit pas son nom, le film est comme un vieux juke-box égrenant une chanson de Johnny Cash, un drive-in abandonné au milieu de nulle part dont les lumières parviennent encore jusqu'à nous. Un film qui parle d'amour, fait du bien, et qui exprime tout un pan de la sensibilité de l'un des derniers géants. Une œuvre testamentaire qui touche de par son ton de balade automnale, un film de coeur, sans cynisme, ou un coq occupe pour la première fois dans un film une place de choix.


© 2021 Warner Bros

samedi 17 juillet 2021

Éloge du Cinéma

Plus que jamais aujourd'hui, le cinéma se doit d'être unique. Lorsque vous entrez dans une salle de 500 places, que vous pénétrez dans la semi obscurité pour vous assoir face à un écran de 18 mètres, nul autre endroit ne permet de recevoir ainsi le spectacle d'un film. Et puis la lumière s'estompe et vous allez être plongés dans quelque chose qui s'apparente à de la magie : un jeu d'ombres et de lumière où l'espace vous recouvre sans que vous soyez dérangés par votre téléphone, la venue d'un voisin, ou l'envie de mettre sur pause pour aller se servir dans le frigo. Votre mission, si vous l'acceptez, consistera à regarder le film en mettant de côté tout préjugé. Si vous ou l'un de vos compagnons étaient déçus, que votre voisin grignote son pop corn, qu'un autre se met à parler fort ou que la lumière d'un smartphone apparaît dans la salle, le 7ème art niera en être responsable. Le cinéma n'est pas un divertissement comme les autres. Le cinéma est un espace de pause dans une vie qui, s'il est bien fait, vous emmènera au-delà des frontières du quotidien, au cœur de zones non visibles, dans les contrées les plus reculés. Le cinéma est un art. Le 7ème art, - comme on dit la 4ème dimension, le 6ème sens ou le 36ème dessous. Le cinéma est un bien nécessaire pour la collectivité. Il est celui qui permet de franchir ces zones de la perception ordinaire, comme lorsqu'on se plonge dans la lecture d'un livre, l'écoute d'une oeuvre musicale ou qu'on assiste à un spectacle. Le cinéma est le roi de l'ombre et de la lumière, autant que celui du mouvement, des formes, de l'espace et du temps. Le cinéma n'en est encore qu'à son avènement. Il survivra aux modes et au temps, sans cesse sorti de l'inconscient de ses créateurs. Les films de cinéma sont comme des oiseaux qui s'envolent, échappant aux cages, demeurant à chaque nouvelle ère une fois encore insaisissables.

Nomadland (2020) de Chloé Zhao


jeudi 15 juillet 2021

"Titane" (2021) de Julia Ducournau

Le moins qu'on puisse dire est que le nouveau film de la réalisatrice de Grave dégage... Il est certain que le choc provoqué par le film restera dans les mémoires. Et quand les Français décident d'aller jusqu'au bout, ils n'ont rien à envier à David Lynch ou à David Cronenberg. C'est tout simplement étonnant, puissant et remarquablement mené. Bravo à Julia Ducournau d'avoir su procurer au spectateur une telle dose d'émotions et de remises en questions. C'est parfois trash, rock n'roll, violent et insoutenable, mais au moins rien n'est jamais gratuit car dès la première scène, tout ce qui va suivre sert le sujet. Roman noir à la limite du fantastique, le film contourne tous les pièges et l'on sort plus que bouleversé d'un tel brasier. Le feu traverse l'écran, les acteurs et la musique de Jim Williams prennent aux tripes et l'on demeure sonné jusqu'à ce que le générique de fin s'arrête. L'histoire est irracontable, il faut voir le film, et Agathe Rousselle et Vincent Lindon sont exceptionnels. Un grand film dérangeant et un énorme pavé dans la mare du cinéma français.



mardi 8 juin 2021

Imitation of life/Images de la vie (1934) de John M. Stahl

Je n’avais jamais vu la première version de Imitation of life/Images de la vie (1934) de John M. Stahl, reprise en 1959 par Douglas Sirk sous le titre français Mirage de la vie. C’est en tous points un remarquable film, d’une sobriété et d’une humilité exemplaires, assurément l’un des plus beaux mélodrames de toute l’histoire du cinéma. Comment ne pas être touché par autant de compassion sincère, d’humanité exempte de tout cynisme, à l’opposé de ce que produit la plupart du temps l’industrie du cinéma. Issu de la période de la Dépression, le film de Stahl traite plus que tout autre de la fragilité des existences, abordant les thèmes du racisme et des différences sociales au travers de personnages à la fois démunis et capables d’empathie, en deçà de toute haine et de toute rancœur. 

 

L’amitié entre Béa et Delilah (merveilleusement interprétées par Claudette Colbert et Louise Beavers, sans doute l’une des plus grandes actrices noires du cinéma américain) dépasse la représentation hollywoodienne de cette époque, celle de l’Afro-Américain soumis au diktat blanc. Si Delilah est présentée comme une domestique ne songeant pas à sortir de sa condition, la relation qui l’unit avec son amie fait exploser tous les codes, Béa étant elle-même confrontée à d’autres formes de misère en tant que veuve élevant seule sa fille, contrainte à toutes sortes de taches.


 

Imitation of life fait partie de ces films comme City lights de Chaplin qui vous laissent une empreinte indélébile. Des ténèbres de la vie y naissent des éclats de lumière pour entrevoir une issue à l’Humanité malgré toutes les violences qui la tirent sans cesse vers l’obscurité. Il ne s’agit ici de rien d’autre que d’éducation (la manière subtile dont les filles de Béa et de Delilah sont élevées ensemble), de dignité humaine et de respect (Stephen, l’amant de Béa, magnifiquement incarné par Warren Williams, place sa compréhension des autres avant son désir personnel) et d’intelligence, chacun essayant sans cesse de se dépasser, d’un point de vue moral, social et psychologique. La complexité des rapports qui se tissent entre chacun, hommes, femmes, personnes de couleur, blanches, métis, dresse un constat pour le moins saisissant de certains rapports de classes méconnus durant l’une des périodes les plus sombres de l’Histoire américaine. Chacun résiste ici en faisant bloc contre l’adversité avec un sens de la responsabilité hors du commun, et ce qui aurait pu sombrer dans le film noir le plus désespéré est retenu par un souci permanent de la cohésion familiale. 


 

Peola, la fille métis de Delilah, malgré l’oppression dont elle est victime parce que rejetée de la communauté blanche, fait preuve d’un extraordinaire dépassement de soi à travers l’amour qu’elle porte pour sa mère, luttant sans cesse pour ne pas la rejeter à son tour, ce qui est beaucoup plus émouvant que dans le film de Sirk. Malgré ses grandes qualités il faut bien dire que le film de 1959 est assez contestable de ce point de vue, d’autant plus que le rôle est joué par une actrice mexicaine. Fredi Washington qui incarne Peola dans le film de Stahl, on le sait peu, fut l’une des premières personnes de couleur à être reconnue pour son travail au cinéma et au théâtre dans les années 1920 et 1930.

 

Ce film devrait être montré dans toutes les écoles à l’heure où la division a repris le pas sur le collectif, dans une période où l’on rejette l’Histoire en ne la percevant qu’à l’aune des droits et des libertés si durement acquises.

 

lundi 17 mai 2021

Nomadland (2020) de Chloé Zhao

Des visages, des gens, des paysages, des objets, des silences et puis la route. Toujours la route, vers nulle part, pour oublier, pour continuer de vivre. Des vies brisées, des partages entre les uns et les autres, de la solidarité, dans un monde décomposé, anéanti par la crise économique, par des solitudes qui n'en finissent pas de s'étirer dans des déserts sans fin. Un drame humain fait de petites choses dans un temps qui s'écoule, malgré tout. L'un des plus beaux films de l'année passée, l'un de ceux qui vous atteignent au cœur. Survivre est le sujet, avancer est le seul point d'appui qui reste. On ne peut qu'être touché par cette œuvre des temps modernes, merveilleusement interprétée par Frances McDormand et David Strathairn. Y a-t-il un havre de paix possible au bout de la route pour panser les blessures ? Telle est la question que pose Chloé Zhao, cinéaste éprise de bienveillance à l'égard de ses personnages et que sa caméra ne cesse de questionner entre pluie, neige, vent et soleil qui se couche, comme pour nous dire que derrière le silence il y a des cris qu'on ne sait pas toujours entendre.


lundi 3 mai 2021

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (1965) de Jean-Luc Godard

Fascinantes années 60 qui virent éclore des films tels que 8 1/2 de Fellini, Persona de Bergman, Andreï Roublev de Tarkovski, Blow-up d'Antonioni, L'année dernière à Marienbad de Resnais et Alphaville. On se demande comment autant d'inventivité dans l'exploration de l'art cinématographique ait pu se produire au même moment, dans un étourdissant mouvement, littéraire, musical, pictural.



Film de nuit, aussi étrange que son titre, fait de noir et de blanc, photographié sur la fameuse pellicule argentique Ilford, Alphaville est une traversée labyrinthique dans un monde orwellien prédestinant notre époque déshumanisée. Les gens n'y sont plus que des numéros dirigés par une intelligence artificielle. Sorte de spin-off de la série des Lemmy Caution interprété par Eddie Constantine, le personnage se dédouble ici pour n'être plus que son négatif photographique, le film enchaînant génialement les références cinéphiliques pour créer une œuvre à part entière, 25 ans avant Quentin Tarantino. Film noir, kafkaïen, tout n'est que questions sans réponses où « l'on ne doit jamais dire pourquoi mais parce que », au cœur d'une cité qui pourrait s'appeler Gotham City et dans un cauchemar urbain traversé par les pâles lueurs des réverbères. Quête existentielle sur la paranoïa et le devenir des sociétés, dénonciation des dictatures, l'œuvre continue d'étonner de par sa modernité et ses nombreuses trouvailles de mise en scène. À ce titre, rien que le plan séquence qui mène Lemmy Caution et Natacha dans l'ascenseur pour les suivre dans leur montée à travers les vitres d'un autre ascenseur est un grand moment de cinéma. Pas un seul plan n'est composé sans être chargé de sens, sans une réflexion sur l'image, le son et le montage dans leur permanente remise en question. C'est beau, c'est du grand art, inspiré, novateur, ouvrant des portes à l'infini sur le langage cinématographique et ses possibilités. 



On entre dans Alphaville brutalement au détour d'un périphérique pour y être bousculé comme au Star Flyer du Luna Park et en ressortir comme au réveil d'un mauvais rêve. Finalement c'est l'amour qui sauve, celui qu'on ne sait plus dire parce qu'on ne sait plus ce qu'il veut dire, et que Natacha/Anna Karina parvient à exprimer magnifiquement dans la dernière séquence. Assurément l'un des plus grands films de Godard.



dimanche 25 avril 2021

Un chef d'oeuvre : Le dernier métro (1980)

Il y a des films comme celui-ci où durant la projection un frisson vous parcourt l'échine pour finir au bord des larmes. L'amour des acteurs et l'amour tout court y débordent par tous les pores de l'écran. Le scénario est magnifique, on dirait qu'il est adapté d'un grand roman, et la mise en scène dans le décor du théâtre subtilement agencée de chassés croisés entre réalité et fiction, entre côté cour et côté jardin. Ingmar Bergman n'est pas loin. Certains ont accusé le film d'être académique... Quelle grossière erreur ! C'était tout ignorer du sens de l'épure du cinéaste, de sa sobriété et de sa retenue lorsque le sujet l'exige. Qui traite des blessures de l'Occupation et de cette infamie infligée aux Français ne peut que poser un regard sans fioritures. Quand Roman Polanski tourne Le pianiste, il pose un même regard. Le dernier métroest un chef d'œuvre que le temps ne peut altérer, un aboutissement dans l'œuvre de son auteur. Un livre suffirait à peine pour y évoquer le nombre de thèmes abordés. Catherine Deneuve, filmée comme une déesse, y trouve l'un de ses meilleurs rôles et Gérard Depardieu, d'une exemplaire retenue, est grand. Il y eut Jean Renoir, il y eut Jacques Becker et il y eut François Truffaut.



mardi 13 avril 2021

Les films de Pierre Prévert

 Coffret Frères Prévert – 3 DVD (Doriane films) 

Autant l’on connaît l’abondante contribution au cinéma de Jacques Prévert, autant l’œuvre de son frère Pierre demeure méconnue et fut même incomprise en son temps. Si les cinéphiles n’avaient pas manifesté leur enthousiasme pour des chefs d’œuvre tels que L’affaire est dans le sac et Voyage surprise, il est fort à parier que ces films auraient disparu à jamais du patrimoine. À une certaine époque la pellicule cinématographique était recyclée en vernis à ongles lorsque les films n’avaient pas eu le succès escompté. C’est tout le drame de Pierre Prévert qui ne put tourner que trois longs-métrages pour le cinéma, films dont les échecs commerciaux le condamnèrent à ne plus travailler qu’occasionnellement pour la télévision. 

 

Grâce à Doriane Films et au magnifique travail de restauration d’Hiventy, il est désormais possible de redécouvrir les films de Pierre Prévert dont le génial Voyage surprise en version intégrale. Dans ce coffret indispensable figurent également deux courts-métrages et deux longs-métrages de télévision. Terry Gilliam adorerait ces films à l’esprit très Monty Python tant ils sont truffés d’inventivité : personnages hauts en couleurs, situations abracadabrantesques, rythme effréné, tout concourt à un régal pour les yeux. On pense à Mack Sennett et à son burlesque satirique dont nous ne pouvons que regretter l’incursion trop rare dans le cinéma français. Avec Pierre Prévert les scénarios de Jacques renouent avec l’esprit de Paroles et de La pluie et le beau temps dans une liberté de ton que l’on ne retrouvera chez aucun autre cinéaste. Seul Pierre a su traduire en images la truculente inventivité de son frère, déliant le langage cinématographique de ses codes pour y mêler dans un même mouvement rêve, magie, poésie, dessin, métaphore et drôlerie empreinte de gravité.

 

Dans L’affaire est dans le sac (1932) on se gausse des notables aussi bien que de l’homme de la rue et les humains et leurs travers en prennent pour leurs grades. Les acteurs, aussi bien Julien Carette qu’Étienne Decroux font merveille. Il faut voir la séquence des vols à la tire de chapeaux, morceau d’anthologie du cinéma burlesque, tout comme la désopilante scène de l’achat du béret français avec Jacques Brunius. Un classique à revisiter régulièrement.


L’affaire est dans le sac (1932)


Voyage surprise (1947) est une incroyable redécouverte qui nous emmène encore plus loin. On y traverse la France comme sur un manège et le voyage n’en finit pas de nous étonner : quiproquos, fête permanente, courses-poursuites hilarantes s’y enchaînent dans une insolente liberté comme si le film avait été écrit, interprété et mis en scène par des enfants. En prime vous y verrez l’atypique Maurice Baquet, fidèle artiste de la troupe Prévert, l’ineffable Sinoël, Annette Poivre, Piéral dans le rôle d’une comtesse, le lunaire Lucien Raimbourg et la belle Martine Carol dans l’un de ses tous premiers rôles. Un film unique, joyeux, formidable, enchanteur. 


Voyage surprise (1947

Le petit Claus et le grand Claus (1964) d’après un conte d’Andersen avec Maurice Baquet, Roger Blin et Elisabeth Wiener. Astucieusement conçu à partir de dessins et de mat paintings du grand Paul Grimault, on y trouve toute la verve des frères Prévert où le malheur et la méchanceté des humains se transforment ici en une peinture enchanteresse qui n’épargne personne. Produit par l’O.R.T.F, on reste songeur devant les initiatives et la créativité des organismes de télévision de cette époque. 


Le petit Claus et le grand Claus (1964)

 

La maison du passeur (1965) renoue avec l’esprit de Voyage surprise, oscillant sans cesse entre réalité et fiction, imaginaire poétique et jeux d’enfants. Le croustillant Raymond Bussières y campe un ancien combattant survolté qui croit revenir les Allemands quand il voit débarquer chez lui une équipe venue tourner un film sur la guerre de 14. Dans ce film où l’on en tourne un autre, le spectateur finit par se demander si la fiction n’est pas plus vraie que le réel. Une œuvre télévisuelle hors du temps à redécouvrir.


La maison du passeur (1965)

 

Deux très beaux courts-métrages agrémentent le coffret : 


Paris mange son pain (1958), sensible évocation du monde du travail dans le monde disparu des Halles. Chaque figure à chaque coin de rue nous touche parce que le cinéaste sait croquer la vie qui bat comme un dessinateur portraitiste muni d’une caméra. 


Paris la belle (1960) où entre images d’archives tournées par Prévert à la fin des années 20 et images contemporaines, le cinéaste rend hommage à la ville des lumières. Il fait aussi la part belle aux femmes, témoignant des modes et de leurs temps. Un témoignage en forme de symphonie du mouvement qui est aussi une ode à la vie. Le film fut récompensé par un Prix Spécial du Jury Court-métrage au Festival de Cannes en 1959.


 

Coffret LES FRÈRES PRÉVERT


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samedi 10 avril 2021

Revoir "Taxi driver " (1976)

Revoir le film assène un nouveau coup de massue parce que l'œuvre est admirable et que le temps passé depuis sa sortie lui donne un nouvel écho. À travers l'histoire d'une dépression, celle que traverse le personnage de Travis Bickle interprété par Robert De Niro, c'est toute une plongée dans le mal-être et les maux d'une société américaine dont le rêve s'est éteint depuis longtemps, a-t-il finalement jamais existé. Bickle est un mort-vivant qui émerge des laissés-pour-compte, en proie à une telle désespérance que c'est un combat entre la vie et la mort que Martin Scorsese nous dépeint. Au fur et à mesure que les pauvres éclats de lumière s'éteignent, il ne reste plus que des pans de ténèbres dans lesquels le film s'enfonce peu à peu. Quelle force faut-il extirper en soi pour échapper à la nuit, quelle motivation trouver pour vivre, comment l'extraire du fond de la mine... La force du film est de la faire apparaître à travers le personnage de Jodie Foster que Bickle parvient à arracher aux ténèbres de la maltraitance. Taxi driver est un film en permanence sur le fil du rasoir. Tantôt l'on bascule vers le point de non retour, tantôt c'est un éclair de survie qui jaillit, irrationnel, où l'on est maintenu en vie par la seule grâce divine. Beaucoup de séquences sont très émouvantes, de par le lien qui unit Iris-Jodie Foster et Travis Bickle, et dans la manière dont le personnage de Betsy-Cybill Shepherd est amené par le scénariste Paul Schrader. On oubliera pas de si tôt les plans de fin de Betsy dans le rétroviseur, images entourées d'un halo à la dimension quasi mystique. L'œuvre prend une nouvelle perspective dans l'époque que nous traversons, où désespérance et instinct de survie se côtoient. C'est d'abord et avant tout un film sur les rapports de classes, les murs qui les séparent ne se sont qu'encore davantage épaissis dans nos sociétés modernes. Le traitement musical fait penser à une partition de jazz éclatée, ce qui renforce le sentiment d'un cri qui n'en finit pas pour ne s'achever que dans les dernières images lors de l'ultime rencontre entre et Cybill et Bickle. Moment unique d'apaisement avant que le générique nous fasse replonger dans une nouvelle et interminable nuit. La partition géniale de Bernard Herrmann, qui fut sa dernière, enveloppe le film entre battements de tambour, cymbales, basses et saxophone et le thème d'une beauté à couper le souffle semble tirer un rideau définitif sur un monde d'avant à jamais disparu.






mercredi 7 avril 2021

Hommage à Bertrand Tavernier : Coup de torchon (1981)

D'abord, on l'a peu dit, Bertrand Tavernier fut l'un des rares cinéastes français contemporains à œuvrer dans des genres très différents : film historique, film policier (Dans la brume électrique), film d'anticipation (La mort en direct), comédie (Quai d'Orsay), film de guerre (Capitaine Conan), drame psychologique (Daddy nostalgie), film social (Ça commence aujourd'hui)... Et si l'on prend le seul genre du film historique, les périodes couvrent le Moyen-âge, (La passion Béatrice), le XVIe siècle (La princesse de Montpensier), le XVIIe siècle (La fille de d'Artagnan), la Régence, (Que la fête commence), le XIXe siècle, (Le juge et l'assassin), la guerre de 14-18, (Capitaine ConanLa vie et rien d'autre), le XXe siècle et ses années 1930 (Coup de torchon), l'Occupation (Laissez-passer), les années 1950 (Autour de minuit) et la guerre d'Algérie (revoir le documentaire La guerre sans nom). De plus, si l'on regarde bien ses films, les traitements cinématographiques sont également extrêmement différents. D'une écriture classique comme celle d'Un dimanche à la campagne, il peut passer à une écriture totalement éclatée comme dans La mort en direct et Coup de torchon, films faits de ruptures de tons et d'une mise en scène heurtée qui tranchent avec le style très retenu de La vie et rien d'autre.


Cette constatation étant faite, l'exploit de Coup de torchon réside dans cette idée géniale d'avoir transposé le Texas du roman de Jim Thompson 1275 âmes dans l'Afrique Occidentale Française des années 1930. Tout ce qui faisait la noirceur, le cynisme, la désespérance et la violence de par l'écriture au vitriol du roman américain, se retrouve en un équivalent aussi monstrueux dans le film français qui n'épargne rien de la période montrée.



Film hénaurme, gonflé, surréaliste, Coup de torchon n'y va jamais par quatre chemins. Il ose tout et réussit même l'exploit de nous faire rire de la bêtise, de la veulerie et de la méchanceté de l'âme humaine. Coup de chapeau aux acteurs d'y avoir été à fond, Philippe Noiret (particulièrement excellent), Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Eddy Mitchell en tête, qu'on n'a jamais vu aussi dingues. Film inclassable, impossible aujourd'hui, c'est en particulier la grande connaissance du cinéma et notamment américain de l'âge d'or qui a permis à Tavernier de réussir son coup et de contourner tous les pièges. Il parvient à faire de son film une œuvre romanesque jamais complaisante et dont la réalisation particulièrement savante prend parfois des accents hustoniens tout en restant profondément française de par les caractères des personnages et ses truculents dialogues. Qu'on aime ou qu'on déteste, Coup de torchon reste unique, intemporel dans le cinéma français, et n'a vieilli en rien.



lundi 5 avril 2021

Hommage à Bertrand Tavernier : Un dimanche à la campagne (1984)

        J'adore les films dont l'action se déroule en une seule journée. Ici on commence un matin en ouvrant les volets et toute l'histoire se tisse jusqu'à ce qu'on se retrouve à la même fenêtre au soir tombant. Film frissonnant, fait de petites choses de la vie, et qui, sans jamais rien expliquer, en dit cent fois plus sur les personnages que des pages entières de dialogues. La caméra les accompagne, saisit leurs expressions, leurs mouvements, les visages, leurs yeux, et tout se comprend comme si le spectateur réécrivait lui-même à sa façon l'histoire de ces vies. Une histoire d'amour et de peinture, de solitudes et de rencontres, de pensées profondes et insondables. On est bouleversé par Sabine Azéma, toute en émotions, et par Louis Ducreux, témoin presque silencieux de tout ce qui se passe sous ses yeux. La scène du bal, les plans au bord de la rivière, les échappées champêtres font penser à Renoir, autant le peintre que le cinéaste, et le final dans le soir qui tombe sur une toile vierge devant laquelle Monsieur Ladmiral imagine ce qu'il va peindre, laisse une porte ouverte sur notre imaginaire. La musique de Gabriel Fauré accompagne l'âme du film dont on a l'impression qu'il a été tourné vers 1900, la lumière, les couleurs et les sons remontant jusqu'à nous. Un dimanche à la campagne est un voyage dans le temps où les parfums et les souvenirs d'autrefois pourtant à jamais disparus continuent de flotter dans l'air.


mardi 30 mars 2021

Hommage à Bertrand Tavernier (1941-2021)

Que dire de plus que tout ce qui a été exprimé ces derniers jours, venant du monde entier, suite à sa disparition. Je l’avais connu très jeune lorsque j’animais un ciné-club où il était venu présenter ses films. Bertrand a éveillé ma curiosité de cinéphile, a participé à ma formation de cinéaste, m’invitant dans sa salle de montage, m’orientant sur l’écriture des premiers scénarios. De plus mon premier court-métrage lui avait plu et il l’avait retenu pour le programmer avant Autour de minuit. Chose rare il venait aux projections de ses confrères lorsqu’il le pouvait, même pour un court-métrage. Le nombre de films et de cinéastes que j’ai découvert à travers lui est incalculable. Il m’a suivi jusqu’à la réalisation de mon premier long-métrage qu’il avait aimé jusqu’à m’en faire un retour par écrit. C’est une perte considérable pour le cinéma. Sa passion était restée intacte, ses engouements et ses critiques sur les films devenus légendaires, sans oublier le nombre de causes qu’il a défendues, à commencer par celle de la conservation des films, de la redécouverte de ceux du patrimoine ou celle de la préservation des enregistrements de musiques de films français, quasiment inexistante pour les périodes des années 30, 40 et 50. 

 

Auteur également de documentaires (Philippe SoupaultMississippi BluesLa guerre sans nom…), sa soif de curiosité dans tous les domaines était insatiable. Avec Bertrand le cinéma rayonnait de tous ses feux. Il semblait n’y avoir aucune barrière entre un film à petit budget, un blockbuster, un film philippin, américain, chinois, français, toutes époques confondues. Il a été le premier à réhabiliter des réalisateurs oubliés tels que Edmond T. Gréville, à mettre l’accent sur l’œuvre de Clint Eastwood comme Truffaut l’avait fait jadis avec Hitchcock, à reconsidérer des réalisateurs reniés par la Nouvelle Vague tels que Gilles Grangier et Henri Verneuil. Je me souviens d’une présentation du Clan des Siciliens à l’Institut Lumière où jamais l’on avait entendu cinéphile, de surcroît cinéaste, décrire avec autant de justesse les qualités du film. Il défendit également le cinéma des femmes et permit, grâce à l’Institut qu’il fonda, de redécouvrir en particulier les films de Jacqueline Audry et de Dorothy Arzner. 

 

Il suffisait de consulter son incroyable blog sur les sorties de DVD qu’il animait depuis 2005 pour se rendre compte de sa connaissance inouïe du cinéma sous toutes ses formes et dans tous les domaines. Non seulement il connaissait les films mais la période à laquelle ils avaient été tournés, l’histoire de leur fabrication et celle des studios à travers les metteurs en scène, les scénaristes, les producteurs, les acteurs, les directeurs photo, les décorateurs, les musiciens. Son livre 50 ans de cinéma américain écrit avec Jean-Pierre Coursodon et son documentaire Voyage à travers le cinéma français sont des bibles consultables à toute heure pour les cinéastes et les cinéphiles. On pourrait dire encore bien des choses sur lui, sur son humanité, sa bienveillance, son amitié et son soutien précieux.


Avec Tommy Lee Jones sur le tournage de 
Dans la brume électrique (2009)

Qu’il me soit permis ici de publier ces quelques notes sur quelques-uns de ses films que la télévision a rediffusés ces derniers jours.

 

            Le juge et l'assassin (1976). Film impressionnant qui n'a rien perdu de sa force en 45 ans. Un portrait sans concession de la France de la fin du XIXe siècle où Michel Galabru, acteur de génie, surprend encore tant il est extraordinaire dans le rôle de Bouvier. Philippe Noiret en juge rigide est plus qu'inquiétant et la jeune Isabelle Huppert déjà une très grande actrice. Visuellement le film en cinémascope est magnifique, rarement les paysages de l'Ardèche ont été si bien filmés. Incontestablement l'un des 10 meilleurs films français des années 70.



Coup de torchon (1981). D'abord, on l'a peu dit, Bertrand Tavernier fut l'un des rares cinéastes français contemporains à œuvrer dans des genres très différents : film historique, film policier (Dans la brume électrique), film d'anticipation (La mort en direct), comédie (Quai d'Orsay), film de guerre (Capitaine Conan), drame psychologique (Daddy nostalgie), film social (Ça commence aujourd'hui)... Et si l'on prend le seul genre du film historique, les périodes couvrent le Moyen-âge, (La passion Béatrice), le XVIe siècle (La princesse de Montpensier), le XVIIe siècle (La fille de d'Artagnan), la Régence, (Que la fête commence), le XIXe siècle, (Le juge et l'assassin), la guerre de 14-18, (Capitaine ConanLa vie et rien d'autre), le XXe siècle et ses années 1930 (Coup de torchon), l'Occupation (Laissez-passer), les années 1950 (Autour de minuit) et la guerre d'Algérie (revoir le documentaire La guerre sans nom). De plus, si l'on regarde bien ses films, les traitements cinématographiques sont également extrêmement différents. D'une écriture classique comme celle d'Un dimanche à la campagne, il peut passer à une écriture totalement éclatée comme dans La mort en direct et Coup de torchon, films faits de ruptures de tons et d'une mise en scène heurtée qui tranchent avec le style très retenu de La vie et rien d'autre.

 

Cette constatation étant faite, l'exploit de Coup de torchon réside dans cette idée géniale d'avoir transposé le Texas du roman de Jim Thompson 1275 âmes dans l'Afrique Occidentale Française des années 1930. Tout ce qui faisait la noirceur, le cynisme, la désespérance et la violence de par l'écriture au vitriol du roman américain, se retrouve en un équivalent aussi monstrueux dans le film français qui n'épargne rien de la période montrée.

 

Film hénaurme, gonflé, surréaliste, Coup de torchon n'y va jamais par quatre chemins. Il ose tout et réussit même l'exploit de nous faire rire de la bêtise, de la veulerie et de la méchanceté de l'âme humaine. Coup de chapeau aux acteurs d'y avoir été à fond, Philippe Noiret (particulièrement excellent), Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Eddy Mitchell en tête, qu'on n'a jamais vu aussi dingues. Film inclassable, impossible aujourd'hui, c'est en particulier la grande connaissance du cinéma et notamment américain de l'âge d'or qui a permis à Tavernier de réussir son coup et de contourner tous les pièges. Il parvient à faire de son film une œuvre romanesque jamais complaisante et dont la réalisation particulièrement savante prend parfois des accents hustoniens tout en restant profondément française de par les caractères des personnages et ses truculents dialogues. Qu'on aime ou qu'on déteste, Coup de torchon reste unique, intemporel dans le cinéma français, et n'a vieilli en rien.



Un dimanche à la campagne (1984). J'adore les films dont l'action se déroule en une seule journée. Ici on commence un matin en ouvrant les volets et toute l'histoire se tisse jusqu'à ce qu'on se retrouve à la même fenêtre au soir tombant. Film frissonnant, fait de petites choses de la vie, et qui, sans jamais rien expliquer, en dit cent fois plus sur les personnages que des pages entières de dialogues. La caméra les accompagne, saisit leurs expressions, leurs mouvements, les visages, leurs yeux, et tout se comprend comme si le spectateur réécrivait lui-même à sa façon l'histoire de ces vies. Une histoire d'amour et de peinture, de solitudes et de rencontres, de pensées profondes et insondables. On est bouleversé par Sabine Azéma, toute en émotions, et par Louis Ducreux, témoin presque silencieux de tout ce qui se passe sous ses yeux. La scène du bal, les plans au bord de la rivière, les échappées champêtres font penser à Renoir, autant le peintre que le cinéaste, et le final dans le soir qui tombe sur une toile vierge devant laquelle Monsieur Ladmiral imagine ce qu'il va peindre, laisse une porte ouverte sur notre imaginaire. La musique de Gabriel Fauré accompagne l'âme du film dont on a l'impression qu'il a été tourné vers 1900, la lumière, les couleurs et les sons remontant jusqu'à nous. Un dimanche à la campagne est un voyage dans le temps où les parfums et les souvenirs d'autrefois pourtant à jamais disparus continuent de flotter dans l'air.


dimanche 24 janvier 2021

"Deux ou trois choses que je sais d’elle" (1967) de Jean-Luc Godard

Un film comme un documentaire sous la forme d’un film de fiction en cinémascope et en couleurs, un film avec des visages, des acteurs, des décors, de la musique, mais pas un film au sens où on l’entend. Une réflexion sur l’art, le langage, le cinéma, la publicité, à partir d’un portrait de femme incarnée par Marina Vlady magnifiquement photographiée par Raoul Coutard. Au regard de la liberté de ton extraordinaire du film on se rend compte à quel point les années 60 ont été révolutionnaires. 

 

Tout commence au milieu des grues qui construisent le paysage de ces années-là. Dans le cadre d’une cité H.LM, au moment de la guerre du Viêtnam, des intervenants autour du personnage de Marina s’interrogent sur le sens de leur existence, la parole étant essentiellement donnée aux femmes. Document sociologique sur une époque en pleine mutation, entrecoupé de plans muets fascinants ou parfois chuchotés par Godard en voix off, les conversations sur la vie, les propos d’anonymes et d’acteurs (Anny Duperey, Juliet Berto…), les paroles d’enfants, sont souvent bouleversantes. C’est l’ère du début de l’envahissement de la publicité, dénoncée déjà par le cinéaste dans ses précédents films, ce qui lui permet de déployer toute sa verve. (« Si par hasard vous n’avez pas l’occasion d’acheter du LSD, achetez donc la télévision en couleur »)

 

Tout est passionnant dans ce film pour qui veut bien entreprendre le voyage, à condition d’aimer le cinéma pour ce qu’il peut proposer de différent, hors des normes du récit traditionnel. Voir ou revoir un film de Godard équivaut à une cure de désintoxication d’un flot permanent d’images qui finit par aliéner. Dans un final éloquent en forme de packshot sur des produits de consommation usuels, le cinéaste traduit l’effet de conditionnement et d’endormissement par la publicité en concluant par ces paroles toujours chuchotées : « J’écoute la publicité sur mon transistor, je pars sur la route du rêve, j’oublie le reste, j’oublie Hiroshima, j’oublie Auschwitz, j’oublie Budapest, j’oublie le Viêtnam, j’oublie le SMIC, j’oublie la crise du logement, j’oublie la famine aux Indes, j’ai tout oublié, sauf que puisqu’on me ramène à zéro, c’est de là qu’il faudra repartir. »


mardi 12 janvier 2021

"Préparez vos mouchoirs" (1977) de Bertrand Blier

Ce qui est assez génial chez Blier, c'est que le monde réel devient surréel, comme une métaphore de la réalité. Il est peut être l'un de ceux qui traduit le mieux l'absurdité des choses. Des mots savamment choisis, aussi littéraires que crus, un langage agissant comme de la musique, charpente qui tient tout l'édifice de ses films. Ce pourrait être du théâtre, mais le cinéaste parvient à coup d'ellipses et de courtes séquences intelligemment emboîtées à constituer dans cette œuvre un matériau qui tient de la magie. Photographie particulièrement travaillée, cadres précis, mouvements d'appareil lents, tout contribue à du pur cinéma. Ses meilleurs films ont eu l'extraordinaire privilège de bénéficier d'acteurs tels que Depardieu, ici au meilleur de sa forme, Patrick Dewaere (ils sont encore plus formidables que dans Les valseuses), Michel Serrault, Jean Rougerie pour ne citer qu'eux. Le lyrisme sort de leurs bouches, de leurs mouvements, de leurs jeux de physionomie. 



Dans ce film étrange et beau que vient hanter la belle et énigmatique Carole Laure, les hommes portent tous le même pull à col roulé, l'amour n'a pas de frontières et la bêtise du monde est sans limites. La fable touche de par sa poésie du verbe qui place l'auteur comme un très grand observateur de la nature humaine. Il y a des scènes magnifiques comme celle du dortoir où les gosses écoutent en silence, fascinés, le récit de la première expérience amoureuse de Belœil  génialement joué par Riton Liebman. Film impossible à faire aujourd'hui pour son immoralité, Préparez vos mouchoirs (Oscar du meilleur film étranger en 1979) annonce Buffet froid le chef d'œuvre de Bertrand Blier.


samedi 9 janvier 2021

"Eva" (1962) de Joseph Losey.

Fascinante Jeanne Moreau se déshabillant pour prendre son bain sur Willow, weep for me de Billie Holiday, partition jazz très inspirée de Michel Legrand, splendide photographie de Gianni Di Venanzo. Une vénéneuse et destructrice relation entre Venise et Rome où l'écrivain marié et tourmenté (Stanley Baker) se perd dans les bras de la cruelle Eva, chat siamois lové sur ses épaules. Quête d'absolu, êtres blessés, ravagés. Entre vapeurs d'alcool, libertinage et amoralité, Losey se régale du vide des existences d'une certaine bourgeoisie. Eva /Jeanne Moreau rayonne de perversité, filmée avec délectation et l'homme, dans sa versatilité, en prend pour son grade d'humiliations. Virna Lisi qui incarne sa femme en proie au désespoir est d'une beauté à couper le souffle. Le cinéaste est grand. Sous le ciel bas d'une lagune automnale et dans les palais vénitiens, en quelques cadrages Losey sait camper une atmosphère déroutante et trouble qui atteindra son sommet l'année suivante avec The servant

On aimerait voir la version de 2h50 de Eva, coupée par les frères Hakim, le film actuel étant ramené à 2h10. Si le rythme et la compréhension en souffrent parfois, il n'en reste pas moins une œuvre résolument moderne, majeure du cinéma des années 60 et dans la filmographie de Joseph Losey.