lundi 3 mai 2021

Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (1965) de Jean-Luc Godard

Fascinantes années 60 qui virent éclore des films tels que 8 1/2 de Fellini, Persona de Bergman, Andreï Roublev de Tarkovski, Blow-up d'Antonioni, L'année dernière à Marienbad de Resnais et Alphaville. On se demande comment autant d'inventivité dans l'exploration de l'art cinématographique ait pu se produire au même moment, dans un étourdissant mouvement, littéraire, musical, pictural.



Film de nuit, aussi étrange que son titre, fait de noir et de blanc, photographié sur la fameuse pellicule argentique Ilford, Alphaville est une traversée labyrinthique dans un monde orwellien prédestinant notre époque déshumanisée. Les gens n'y sont plus que des numéros dirigés par une intelligence artificielle. Sorte de spin-off de la série des Lemmy Caution interprété par Eddie Constantine, le personnage se dédouble ici pour n'être plus que son négatif photographique, le film enchaînant génialement les références cinéphiliques pour créer une œuvre à part entière, 25 ans avant Quentin Tarantino. Film noir, kafkaïen, tout n'est que questions sans réponses où « l'on ne doit jamais dire pourquoi mais parce que », au cœur d'une cité qui pourrait s'appeler Gotham City et dans un cauchemar urbain traversé par les pâles lueurs des réverbères. Quête existentielle sur la paranoïa et le devenir des sociétés, dénonciation des dictatures, l'œuvre continue d'étonner de par sa modernité et ses nombreuses trouvailles de mise en scène. À ce titre, rien que le plan séquence qui mène Lemmy Caution et Natacha dans l'ascenseur pour les suivre dans leur montée à travers les vitres d'un autre ascenseur est un grand moment de cinéma. Pas un seul plan n'est composé sans être chargé de sens, sans une réflexion sur l'image, le son et le montage dans leur permanente remise en question. C'est beau, c'est du grand art, inspiré, novateur, ouvrant des portes à l'infini sur le langage cinématographique et ses possibilités. 



On entre dans Alphaville brutalement au détour d'un périphérique pour y être bousculé comme au Star Flyer du Luna Park et en ressortir comme au réveil d'un mauvais rêve. Finalement c'est l'amour qui sauve, celui qu'on ne sait plus dire parce qu'on ne sait plus ce qu'il veut dire, et que Natacha/Anna Karina parvient à exprimer magnifiquement dans la dernière séquence. Assurément l'un des plus grands films de Godard.



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