Les
hommages à François Truffaut (1932-1984) se multiplient en cet automne 2014.
Ainsi voici 30 ans que disparaissait celui qu’on appela un temps l’enfant terrible
de la Nouvelle Vague et dont la jeunesse tourmentée avait donné naissance à ce
film mémorable et quasi auto-biographique que fut Les 400 coups, récompensé en 1959 par un prix de la mise en scène à
Cannes. L’œuvre fit apparaître l’une des sensibilités les plus à fleur de peau de
notre cinéma, touchant au plus profond des êtres, et je donnerai 100 autres
films pour ces simples répliques : Petite Feuille : Ta mère, ta mère,
qu'est-ce qu'elle a encore ?
- Antoine Doinel : Elle est morte. De
quoi atteindre les plus impénétrables, qu’il s’agisse de cinéma ou de la vie
tout court. Cette vie que Truffaut apparentait lui-même au cinéma, créant
d’incessants allers retours entre l’impermanence des choses et leur
représentation au cinéma.
Les 400 coups (1959)
Les
films de Truffaut, je les ai découverts au moment de mon service militaire dans
la Marine. Alors esseulé et tourmenté, je vis ainsi pour la première fois Les deux anglaises et le continent et Une
belle fille comme moi. La vision de ces films provoqua en moi un coup de
tonnerre. La figure féminine irradiait de toutes parts, entre désarroi et
passion, au cœur de récits que n’auraient pas désavoués Alfred Hitchcock ou les
sœurs Bronte. Il n’en fallut pas davantage pour que je parte en quête de
l’œuvre intégrale du cinéaste, textes et livres y compris. Je fus pris dès lors
d’une passion dévorante pour l’auteur de L’histoire
d’Adèle H dont l’influence majeure me fit entreprendre l’un des métiers les
plus durs du monde. Je ne cessai dès lors de dire que Truffaut fut l’un de nos
cinéastes les plus accomplis et reconnu partout dans le monde, Steven
Spielberg allant même lui offrir par pure admiration le rôle du professeur
Lacombe dans ses Rencontres du 3e
type.
Rencontres du 3e type (1976)
Si
Truffaut me passionna autant c’est que je vis en lui à la fois une sorte de
père et une sorte de double. L’itinéraire chaotique de son enfance et son
extraordinaire destin semblaient évoquer à la fois Jean Vigo, dont il fut un
fervent admirateur, et Stendhal, autres figures de style qui hantèrent mon
adolescence déchirée. Ainsi je dévorai tout ce qui touchait de près ou de loin
à François Truffaut, allant tout acquérir : livres, vidéo-cassettes,
articles de journaux, affiches et photos de ses films que j’allais voler sur la
devanture des cinémas, sans savoir qu’une même scène figurait dans Les 400 coups, découvert plus tard à la
télévision. Quel bonheur cela aurait été pour moi d’avoir 15 ans en 2014,
époque bénie dans laquelle une abondante littérature consacrée au cinéaste provenant
du monde entier remplit désormais les rayons de nos librairies et de nos bibliothèques
municipales.
Fraîchement
arrivé à Paris je courus au cinéma le Panthéon (dirigé par le célèbre Pierre
Braunberger, distributeur des films de Truffaut à ses débuts) voir Tirez sur le pianiste, une œuvre de jeunesse fulgurante comme les phares d’une
voiture filant dans la nuit. Le cinéaste pillait la noirceur de David Goodis
qu’il détournait en des élans passionnés dignes d’une tragédie grecque sur fond
de polar. Filmé quasiment à la main en cinémascope noir et blanc, de tragiques destins
incendiaient l’écran noir de mes nuits blanches sur des accents de Georges
Delerue au piano bastringue. Les amours contrariées de Charlie et de Léna s’enfuyaient
comme dans un film d’Hitchcock qui aurait remisé ses méchants au profit
d’amants dignes de Stefan Zweig. La déchirure au cœur du cinéma de Truffaut,
l’amour malmené pour ne pas dire sans retour comme la rivière d’Otto Preminger.
Tirez sur le pianiste (1960)
Bouleversé,
heurté, j’enchaînai : Jules et Jim, je
ne passe pas une journée sans y songer, La
peau douce, où le mari volage finit par se prendre une cartouche de 12,
produisant ainsi l’une des scènes finales les plus saisissantes d’irrémédiabilité de
l’histoire du cinéma. Pour ceux qui n’auraient pas lu Les films de ma vie, je ne peux que les inviter à découvrir ce merveilleux
recueil basé sur des articles du temps des Cahiers
dans lequel sont passés au peigne fin tous les grands maîtres du cinéma. Chaplin
y figure aux côtés de Dreyer, de Bresson, de Jacques Doillon et de Claude
Berri, quel critique d’aujourd’hui pourrait se targuer d’un tel éclectisme.
J’ai vu vos films, ils
m’ont parlé serait
ma seule réponse au cinéma de Truffaut pour paraphraser son célèbre Ces livres étaient vivants, ils m’ont parlé.
Puis ce fut à la Cinémathèque la découverte de la série des Doinel dont on
ne se rend souvent pas assez compte de leur importance dans l’histoire du
cinéma. En effet, il s’agit bien à ce jour de la seule suite s’étendant sur
20ans qui filme le même personnage à ses âges réels depuis son enfance jusqu’à
l’âge adulte. Dans le dernier volet, L’amour
en fuite, que le réalisateur tourna avec des moyens dérisoires à un moment
critique de sa production, Truffaut y réussissait le prodige d’inclure en
flashes-back les extraits des précédents films de la série des Doinel, dans cette
sorte d’œuvre-bilan totalement sous-estimée qui est aussi une véritable mise en
abyme.
L'amour en fuite (1979)
La
vision de L’enfant sauvage, sans
doute le meilleur film à ce jour sur l’éducation, me fit ruer chez un disquaire
pour acheter les concertos pour flautino
de Vivaldi et lire sans plus tarder le Mémoire
et rapport sur Victor de l’Aveyron du Dr Jean Itard. Ce passionnant texte
consacré à l’autisme souleva mon intérêt pour la psychologie moderne et
d’autres études s’ensuivirent à commencer par les travaux de Bruno Bettelheim
sur ce sujet grâce à La forteresse vide. Truffaut
m’avait non seulement appris le cinéma mais aussi le sens de ce que j’allais y
mettre dedans pour devenir un jour metteur en scène.
L'enfant sauvage (1970)
En
1982, je ratai une occasion inespérée. Déjà engagé sur un film je détournai, la
mort dans l’âme, la proposition de Suzanne Schiffman pour devenir l’un des
assistants du maître sur Vivement
dimanche. Il était dit que nous
ne nous croiserions pas, sinon à travers des images de cinéma, les siennes, et dont
ma vie entière fut imprégnée.
Sa
disparition nous tétanisa tous : cinéastes, acteurs, techniciens,
personnalités du spectacle, mais ce fut surtout et très largement le public qui
fut en deuil. Pour preuve ce succès rencontré dernièrement à la Cinémathèque
Française lors de la rétrospective de son œuvre sous le parrainage de Serge
Toubiana, qu’il faut remercier ici pour n’avoir cessé de transmettre cet amour
du cinéma dont Truffaut fut empreint tout au long d’une existence trop brève.
Je ne crois pas que ce sont seulement ses films qu’il nous a laissés, mais tout
simplement un goût immodéré pour la vie et pour les autres. L’homme qui aimait les femmes demeure à
jamais bel et bien vivant, et si je lui je voue un amour constant, je pèse mes
mots, c’est à n’en pas douter parce qu’il a fait de moi à la fois un cinéaste
et un homme.
Les deux Anglaises (1971)
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