Ce génie de l'art cinématographique a su créer un langage visuel telles des partitions d'orchestre où tous les éléments s'imbriquent les uns dans les autres. Un film d'Hitchcock est un tout, aucun élément ne peut être dissocié. L'histoire en elle-même a relativement peu d'importance, (ce qui ne veut pas dire que ses scénarios n'atteignent pas la perfection), mais c'est surtout la manière dont elle est racontée qui prime, sans temps mort, de la première à la dernière image.
The birds (1963)
Avec Hitchcock, il y a toujours une histoire d’amour contrariée qui est à la fois le moteur du drame et la cause du soulèvement des personnages, exprimant des états de frustration et des anxiétés profondes. Le cinéaste entretient toujours le secret avec le spectateur qui possède des éléments ignorés par les autres personnages. Toute sa mise en scène se situe dans cette confidence qui, étant isolée, devient une véritable dramaturgie parallèle. Son langage est extrêmement clair pour celui qui regarde. Il y a même parfois des séquences entières – comme la descente finale de l’escalier dans Notorious – où, pour mieux pénétrer les actions des personnages, il décompose les éléments dramatiques en étirant le temps pour mieux en saisir chaque seconde. Jamais le moindre petit détail n’est laissé au hasard, aucune possibilité de faire rebondir l’action n’est gâchée. Un temps mort qui ne corrobore pas le déroulement de l’intrigue n’a aucune place. Sinon il procède tout de suite à l’ellipse. Il coupe, tranche, morcelle jusqu’à inventer des astuces qui n’existent dans aucune grammaire cinématographique pour aller directement au nœud dramatique suivant. Le cinéma d’Hitchcock est une machine impitoyable qui quand elle commence sa course ne la termine que d’une façon incandescente à la dernière image.
Notorious (1946)
Il y a une telle foule d’informations durant les cinq premières minutes de certains de ses films (Stage Fright) qu’on a l’impression d’être déjà rendu à la 20e. On pourrait presque en tirer un film tout entier. I confess (La loi du silence) est l’un des films les plus imparables d’Alfred Hitchcock. Maîtrise absolue du récit, mise en scène magistrale, tout est brillant : la description de la machination subie par le personnage du prêtre, Logan (magnifiquement interprété par Montgomery Clift), la manière dont il porte le secret de la confession jusqu’à accepter sa propre condamnation à mort à la place du meurtrier, le thème de la femme qui l’aime, et à laquelle Logan se refuse, finissant par se détourner de lui après avoir été contrainte de dévoiler toute leur histoire durant le procès. L’oeuvre converge vers un aboutissement à couper le souffle et dont la quintessence en est l’émotion suscitée par le dernier plan où Logan au chevet du coupable mourant lui pardonne. Tant de génie dans l’agencement du drame, accompagné d’un regard terriblement lucide que le cinéaste porte sur le monde - les scènes qui suivent la sortie du procès montrant une foule cynique et assoiffée de vengeance sont à ce titre exemplaires - font de ce film l’un des plus accomplis de son auteur et ce malgré toutes les réticences que curieusement celui-ci lui opposait.
I confess (1953)
The wrong man (Le faux coupable) est certainement le film d’Hitchcock que je préfère, car avec une intrigue rendue à sa plus simple expression le cinéaste déploie tout son génie de la mise en scène. L’art du réalisateur réside dans l’exploration minutieuse de chaque détail vécu par son personnage, Balestrero, victime d’une erreur judiciaire, et qui finit par porter sur lui le masque de la culpabilité alors qu’il n’en est rien, ce qui est d’autant plus effrayant. Hitchcock, sous la forme d’un film noir, nous fait vivre quasiment en temps réel l’oppression de son personnage principal qui est en elle-même le vrai moteur de l’intrigue. Le moindre regard ou objet vu à travers lui prend parfois une dimension surréelle, jusqu’à ce plan incroyable, décadré, où la caméra va et vient plusieurs fois en panoramique sur le visage d’Henry Fonda accentuant toutes les pertes de repères de Balestrero. Le choc psychologique qui en résulte sur sa femme va la plonger dans une sorte de schizophrénie. Une fatalité qui en appelle une autre, malgré finalement l’arrestation du vrai coupable, et c’est tout l’intérêt de ce portrait de gens ordinaires que le maître se plaît à entraîner dans de sombres recoins au-delà de toute raison. La partition musicale de Bernard Herrman ne fait que nous plonger encore davantage dans ce trouble.
The wrong man (1956)
Tout a déjà été dit sur Vertigo (Sueurs froides) qui demeure indémodable, incontournable, et toujours aussi bluffant par ses audaces de narration. Hitchcock a fait d'un bon roman de Boileau-Narcejac une oeuvre puissante qui passe entièrement par son regard. La vision d'un maître qui a connu toutes les évolutions du cinématographe pour arriver à la perfection. Les cinéastes du monde entier se sont inspirés de ce film. Il ne se passe pas une seule décennie sans qu’on retrouve l'influence de Vertigo dans le cinéma mondial. Ce film-ci démontre tout particulièrement que pour Hitchcock une oeuvre est un tout. Construction du scénario, rythme dans l'agencement des plans, jeu des acteurs, lumière, stylisme, montage, utilisation du son et de la musique. L'extraordinaire partition de Bernard Herrmann ne fait qu’une fois de plus renforcer encore davantage ce trouble profond qui envahit le film, et qui ne cessera jamais de nous hanter. Une œuvre sortie du temps et de la mémoire fonctionnant comme une sorte de rêve ou de cauchemar, l’une des plus représentatives qui soient sur les zones de l’inconscient.
Vertigo (1958)
Hitchcock avait connu l'évolution du cinéma depuis le muet et s'était adapté à chaque nouvelle technique (y compris la 3D ) pour parfaire son art. Je le considère comme un inventeur au même titre qu'Eisenstein ou Abel Gance. Il pensait que la plupart des réalisateurs n'utilisaient pas le dixième des possibilités du cinéma, disant que le plus souvent les films n'étaient que des "photographies de gens qui parlent..." Ce qui m'attriste, c'est qu'il ait fini tout seul dans son bureau d'Universal, diminué par l'arthrite, et qu'un jour on lui a signifié qu'il devait libérer la place. Je crois que lorsqu'il est parti avec ses dossiers, c'est comme s'il disparaissait de ce monde.
Bruno, quel savoir, quelle érudition, tu me surprends chaque fois bien que je m'attende à tout. Bravo pour cet article complet et cette analyse fine d'un grand Monsieur du cinéma. Anne
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